mardi 31 janvier 2012

Rosse c’est la Vie
Opus 1
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Rêvolition
Opus 2 – à lire sur :
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L’Or de l’Oseille

I.……………..1 à 4
II..…………….5 à 6
III……………7 à 11
II…..…………….12
III……………13 à 21
II…………….22 à 23
III…………………24
IV……………25 à 29


L’Art du Ménard

I……………..30 à 39
II…………….40 à 43
III…………………44
IV…………………45


Ecce Mulier

46 à Fin




L’Os de l’Oreille
Opus 3 – à venir

samedi 14 mai 2011

vendredi 13 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - VI

et, dans l’éther…


La République


…" Même le dernier venu, s’il choisit judicieusement et s’efforce de bien vivre, peut ramasser une condition convenable et bonne. Que le premier choisisse avec attention, et que le dernier ne perde pas courage. " […] Enfin, l’âme d’Ulysse, à qui le hasard avait assigné le dernier rang, s’avança pour choisir ; mais, soulagée de l’ambition par le souvenir de ses épreuves passées, elle alla cherchant longtemps la vie d’un particulier étranger aux affaires ; elle eut quelque peine à en trouver une, qui gisait dans un coin, dédaignée par les autres. En l’apercevant elle dit qu’elle aurait fait le même choix, si le sort l’eût désignée la première, et elle s’empressa de la prendre. […]
…Quant à lui [Er], on l’avait empêché de boire de l’eau ; cependant par où et comment il avait rejoint son corps, il l’ignorait ; mais soudain, ayant levé les yeux, il s’était vu à l’aube couché sur le bûcher…


Platon

jeudi 12 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - V


Eternelle Ritournelle


Parce que chaque existence est bâtie sur très peu de choses, lorsque la fatigue, nous alourdissant, nous emporte vers le profond et nous y dépose dans son défaut de sol, nous trouvons l’Immobile en nous, qui a pour toute réalité véritable un lourd et doux ralentissement, mais celui-ci qui satisfait notre penchant soudain au tenu et au ténu de la stabilité parfaite appelée Arrêt (l’Immobile, impossible et ici suggéré). Nous subissons alors un phénomène contradictoire de poussée inverse qui, nous allégeant et allégeant notre corps, le hisse et nous hisse vers une surface absolue – qui n’est la surface de rien si ce n’est qu’elle est en haut. Ainsi nous sommes étarqués, étirés entre deux poids exactement opposés et dans cet état de profondeur relevée, nous sommes soulagés sans pouvoir saisir de cet état autre chose qu’une fugacité lente qui nous maintient dans la perplexité d’assister à ce qui se passe – à ce qui nous passe, nous trans-passe à l’intérieur toujours du même état, du même espace : un temps qui dure et nous étonne parce que nous reconnaissons à chaque instant ce qui nous advient sans le connaître pour l’avoir connu. Nous assistons à chaque geste que nous pratiquons tout en sachant que nous allons reconnaître ce qui va suivre et, de fait, nous reconnaissons chaque instant avec sa charge de vie – de gestes (car, dans cette dimension microscopique de l’existence, tout acte est minuscule et ne peut guère dépasser le geste) alors que nous ne savions pas ce que nous allions reconnaître et savions que nous reconnaîtrions, sans surprise mais avec la surprise de l’absence de surprise : " oui, c’est bien ça, cela même ". Je le savais, je le sais, je le reconnais. Cela devait être ainsi.
Dans toute la Roue qui tourne de l’Eternel Mouvant, se saisissent parfois des suspens, dans des moments singuliers qui donnent, qui donnent l’échantillon en quoi repose la nature de ces suspens. Du mouvement figé dans sa progression-même – et pour cette raison même de cette qualité paradoxale (advenue pourquoi ? comment ?), du mouvement alenti vers sa limite " neutrale " nous nous détachons, nous nous décollons, mais il persiste comme mouvement et nous assistons à nous-mêmes dans la nature même qui fait chaque existence : le très peu. Le très peu de choses à quoi nous sommes ramenés lorsque s’exige d’elle-même la substance, l’essence ; dans l’urgence feinte mais aussi surtout toujours, pour chaque coup de cette stabilisation momentanée du Dé coureur, s’exige l’essence-substance qui veut, veut se voir en tant qu’elle con-siste. Car, je suis prête à parier que cette expérience estrange passe par une canalisation de tous les sens dans le défilé du sens de la vue (comme si sa suprématie en temps normal pour la plupart d’entre tous les membres de l’humanité, se densifiait ici et maintenant). Littéralement, nos yeux tombent ronds hors de leurs orbites sans tomber, mais en regardant en étant détachés d’un corps dont on dit qu’ils sont habituellement la porte. La porte s’ouvre alors, elle qui toujours a perçu et perçoit par porosité ou par capillarité. Les portes de nos sens, dans leur exercice quotidien, absorbent le monde à l’image d’un buvard, elles sont parties prenantes, et parties prises (dans la masse).
Mais je parle ici d’une expérience où les sens, sous l’auspice d’un sens qui les condense tous, où ce sens-roi prend ici une autonomie qui nous relègue dans une condition de spectateur de soi. Nous sommes libres de sentir que nous devin(er)ons rétrospectivement ce qui doit advenir, et ceci par la grâce d’un moment-mouvement qui constitue tout l’objet dont il est la condition. Le miroir se regarde. Est-il vide ? Si oui, que voit-il ? qu’y voit-il ? Son propre devenir, à vide. (Ou percevoir ce qui n’offre pas de prise à la perception, une sorte de battement sans battant).
L’oxymore ou le paradoxe ne sont que le petit moyen, l’euphémisme non adéquat de signifier : être à la fois ici et maintenant, quand cela est synonyme d’un " être ici et là-bas au même instant ".
Là où ça s’achève : ici.
La porte s’ouvre.

mercredi 11 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - IV


Le bourdon


Je suis la veuve d’un homme que je n’ai pas épousé.
A mes insinuations de la présence d’oreilles et d’yeux subreptices dans les murs, il avait catégoriquement engagé sa parole et opposé sa promesse qu’il n’en était absolument rien, nous étions, bien, seuls en ce séjour. Je lui rétorquai, sur le ton le plus narquois que je pus trouver dans mon répertoire de vocalises (répertoire très riche et très travaillé) : " Vous ne vous imaginez quand même pas qu’à l’heure où l’on envoie Hubble dans l’espace, on ne puisse pas nous espionner sans que vous le sachiez ! ? " Je le vis interloqué. Mais, comme je pense vite, interloquée que je fus moi-même à le voir ainsi, je ne le restai pas : " Ainsi donc, l’affaire est carrément démesurée… " me dis-je. Ainsi les murs, la peinture du plafond, les lattes du plancher, les crins du tapis, les fauteuils, la transparence des vitres, tout, jusqu’au pont des lunettes entre les deux verres, et qu’il ne porte pas, où peut se loger le trou, le centre d’un œil et d’une oreille, artificiels, scrutateurs qui loin de projeter de façon centrifuge une onde, absorbent, boivent, comme le Dracula de mes cauchemars, de jour et de nuit, toutes mes vies, tous mes gestes, faits et dits, tout moi, toute la robe qui me ceint d’apparaître et de paraître – d’être. Je suis volée en continu. Le petit bouton d’un bijou technologique sophistiqué situé à peu près partout m’aspire toutes les substantifiques moelles de ma vie. Je le savais déjà. Je mesurai à ce moment-là seulement dans quel guêpier je m’étais enfournée. " Je peux vous assurer qu’il n’y a, dans cette pièce, strictement aucune caméra ". Ne joue donc pas sur les mots, veux-tu ! Ne jure pas, n’oublie pas qu’il te sera compté et décompté tout parjure, ta vie risque l’amputation de quelques heures et années. Car quelque chose il y a. Que cela porte pour nom " fibres optiques " ou bien quelque autre nom que j’ignore pour une réalité technologique que j’ignore tout autant, faute (faute volontaire) de me tenir au courant.


Je suis jalouse. Jalouse jusqu’à griffer. Jusqu’à égratigner et je me rappelle la conséquence qu’avait eue cette conversation téléphonique qui, visiblement, n’avait rien de professionnel, cette conséquence sur ton répondeur quelques heures après, quand je fus rentrée chez moi, je me rappelle que tu te rappelles quel coup à l’estomac cela te valut et que je viens de relater plus haut. Je reconstruis. Je reconstruis mon message vengeur, non les mots mais la teneur. Quelque chose comme une mise à pied sous la forme de quelque rétorsion ou autre – et de quel ordre ? Là je n’en ai pas le moindre souvenir et n’embraierai pas. Quand enfin nous nous revîmes, tu pataugeas. Tes grands et maladroits souliers bafouillèrent dans la mare quoique tu eusses attaqué par une virile estocade. Tu fus, pourtant, déséquilibré. Mon cher, entre nous soit dit, je me ferai de ta prétendue gaucherie, le plaisir de dénouer en cadence, tous les secrets. Mais, revenons-y d’abord : quelque temps après cette escarmouche (entre autres) tu reçus encore un appel téléphonique privé qui te valut de façon ostentatoire, un grand sourire, plus adressé à moi qu’à la promesse qu’il t’octroyait, d’un supposé plaisir – mondain ? On ne me la fait pas. Et je restai tout à fait dégagée, sereine et attentive. Non mais qu’est-ce que tu t’imagines ? Que je suis une pile à réaction nucléaire ? Certes, j’en suis une. Avec cette variante, qu’au nombre de mes fonctions compte celle du retardement – de l’explosion après délai. Je te réserverai la primeur de botter en touche à ton nombril. Je percerai ton ego de toute la longueur de ma pointe. Et crois-moi, je ne le regretterai pas. Le film, le filmage – sur lequel je ne compte pas, ni toi d’ailleurs – en eût valu le détour mais justement, quand nous en serons arrivés là, la pelote technologique aura fini de dérouler le cours de son énergie, épuisée elle languira gisant de son dernier bout de langue devant la porte close des amants. La fibre optique version opaque. Cela te pend au nez. A ton grand nez qui a toujours su détecter les senteurs frelatées mais aussi le miel d’acacia quand il est d’acacia.
Aussi demeure-t-il regrettable que tu te sois supprimé. Nous aurions pu. Je veux relater toute la fantaisie qui ne me reste plus qu’au titre de la fantaisie. Dont acte.


Le Surmâle


" L’amour est un acte sans importance, puisqu’on peut le faire indéfiniment. "
Tous tournèrent les yeux vers celui qui venait d’émettre une telle absurdité.
[…]


Alfred Jarry

mardi 10 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - III


A-gression


Voici une journée passée par un trou d’épingle ; expédiée ; il fait nuit, je n’y aurai vécu que du temps consacré à passer. Je m’en trouve bien, je ne pense rien, je n’attends pas, à peine si je suis, là, à écrire. Je pense à du " chiffon " comme appellent les hommes, les robes, le taffetas, les dentelles, les pantoufles de vair, les odeurs capiteuses, les fronces et plis, le jupon, le bouillonnement de l’écume qui ravit – au sens fort – les filles. Ce rapt hors de moi-même vers des champs de blé où roule la mythologie d’Europe, est accompli, plus sûrement que par un dieu, plus profondément, oui, par la " bagatelle " (comme l’appela une religieuse qui devint reine des chiffonniers du Caire). Un homme n’est pas un rêve, il est un poids, une masse contondante de muscles, une paire de chaussures remplie par la réalité d’un aller de l’avant, deux mains qui taillent des flûtes et des poignards, et des oreilles qui donnent des ordres sans avoir eu jamais à écouter autre chose qu’elles-mêmes ; un homme n’est pas un rêve mais il peut le fournir à la putain dont il est le proxénète et qui, si elle a été industrieuse, aura gagné le butin d’une paire de gants, d’une robe à pois et d’un chapeau tubulaire.
Un homme n’est pas un rêve, il en est le prétexte, l’architexte et l’échec, l’archiprêtre et le remueur des cloches qui brinquebalent leur appel au faîte du donjon des villes. Un homme, à chaque heure, sonne le tocsin du présent pour appeler à l’ordre de ne pas fuir, les filles. Un homme n’est pas un rêve, quelquefois il peut être une fatalité lorsqu’au plus beau jour, elle aura eu le goût mauvais prémonitoire de se vêtir d’une robe de communiante, et qui plus est de se voiler du chef (du crâne) pour en revenir, par la suite, à un divorce irrémédiable ou, tout aussi bien, à une enclume tout aussi irréversible : celle des jours accusant la pente de la déception jusqu’au dernier souffle. Ainsi finissent les princes des comptes, dans la banalité et l’eau saumâtre des rancoeurs recuites qui ne bouillonneront plus en éclat et refroidissent dans la puanteur de l’habitude.


Me marierai-je vraiment, un jour ? comme Maxime ne me l’a jamais proposé en disant du mariage, sur le ton effrayé du dépit de s’entendre et de la peur de m’entendre, moi, peut-être confirmer son dire : " c’est démodé ". Je pense surtout qu’il croyait avoir trouvé là le biais d’expliquer sans expliquer qu’il ne portât pas d’alliance au doigt. Je riais en silence. Non mais, qu’est-ce que tu t’imagines ? ! Que je tomberais dans ton escarcelle par ce genre de conversations perverties par la situation ?
Trouvas-tu la situation " piquante " ? Au long de toutes ces années, nous aurons à tour de rôle chacun, trouvé le bon moment pour mordre l’autre, le manger parfois, le respirer, rarement, et flairé avec délectation les aveux involontaires pour lesquels l’autre ne se mordait pas toujours les doigts. Sais-tu ? Je crois que tu as raison. Ton interprétation est juste. La toux mécanique qui ne me quitte pas, n’est que l’espoir de tousser assez profondément – ce que je ne fais pas car il serait trop incommodant de passer la journée dans une humidité aussi malodorante – pour me pisser dessus. Ce que je préfère ? Être agenouillée dans la baignoire et sentir le liquide chaud m’inonder, me tapisser les cuisses et les jambes de cette main fluide et malléable, souple qui épouse mes formes, et me mouille jusqu’à l’os de la chair. C’est une forme de prière où l’on se vide l’âme dans la plus recueillie des génuflexions. Mais qu’importe ! Ce n’est pas à toi que je fais cette confidence. Car nous avons fini par nous séparer voici plusieurs années, déjà. Voilà, le temps imparti est écoulé, nous nous dressons, j’enfile ma veste non sans avoir levé les bras, suffisamment haut pour que mon petit tricot rose découvre mon nombril alors que je pivote pour me diriger vers la porte, je vois tes yeux. Rapide je suis. " Au revoir ". Adieu pour quelques années.


Sur un ton martial : " Mademoiselle Cambremur, ne seriez-vous pas tombée amoureuse de moi ? ". L’estocade, d’entrée, m’interloque ; rien n’en paraît. " Pourquoi me posez-vous cette question ? ". Je suis si sèche, si froide, si franche que la surprise est pour lui. " Votre message sur mon répondeur… " je ne lui laisse pas le temps de broder " … rassurez-vous, je n’aime personne ". Ma voix tranche, catégorique ; aucun doute, aucune hésitation, aucune émotion. Il est K.O. Son visage accuse une torsion qui se traduit sur son corps, il se tord, ne me regarde pas. Je décide, puisque la bataille, éclair, tombe à mon avantage, d’épiloguer. La bibliothèque derrière lui laisse voir la version de poche des " Liaisons Dangereuses ". Je décide de lui faire la grâce de le laisser conclure et de retourner sa douleur en accusation. Je me prête, en jouant la critique et en l’engageant sur la voie de la " méchanceté " de Mme de Merteuil qui est, de toute la littérature, le " personnage féminin que je préfère ", à ce qu’il me travestisse des oripeaux de la méchanceté (quel que soit l’amateurisme de ma propre méchanceté, laquelle n’a été que de légitime défense) : " … mais vous allez beaucoup plus loin… " est sa répartie. Qui aurait assisté à la rapide petite scène que nous venions de jouer, aurait conclu qu’à peu de frais il me faisait cet honneur d’une telle comparaison avantageuse avec la remarquable joueuse que faisait la Marquise. Son " … mais vous allez beaucoup plus loin… " démesuré, n’était qu’à la mesure de sa défaite, de sa déception, de sa douleur alors que, au contraire, moi, moi, j’aurais dû souffrir et sans, je crois, qu’il m’accordât, après sa victoire, autre chose qu’une leçon en bonne et due forme où, justement, il n’aurait pas su jouer avec cette victoire. Me laissant me casser le nez sur l’Evidence aveuglante des apparences.
Depuis que nous avions entamé ce théâtre, depuis que, tacitement nous en avions établi les règles du jeu de " bon sens ", depuis cela, franchir la limite de notre Loi implicite s’inscrivait dans le cours des choses qui devaient arriver et devaient arriver par moi. Car " il " possédait la place d’autorité, " il " était celui dont le seul rôle était de maintenir les apparences, un pas de trop en avant dans les faux-semblants, qui ne pouvait être que de mon fait, et je m’exposais au couperet de la loi. Mais c’était compter sans moi. Et sans la Marquise. Si même lui pouvait et savait jouer avec les apparences, celles de la scène que nous venions d’interpréter appelaient à un redoublement des apparences puisque ce furent elles qui avaient été nommément mises en cause dans ce moment de jeu-ci. Aussi était-il normal qu’il attaquât, d’autant que mon message sur le répondeur dont je n’ai pas le moindre souvenir, l’y engageait peut-être et sans que je l’eusse consciemment décidé. Les apparences, les " Limites " consistaient en ce que l’un de nous deux trahît son amour pour l’autre, amour qui représentait l’Interdit. Et ce jour-là, sans qu’il trahît quoi que ce fût, ce fut lui qui avoua. Alors même que par le coup qu’il croyait me porter d’entrée de jeu, il entendait, à vouloir me mettre au pied du mur de mon sentiment, il entendait à la fois me faire avouer mais surtout nier le sien propre. Là où il voulait re-mettre un ordre fallacieux, c’est à dire assurer la pérennité de nos rapports selon un code établi par la bien-séance même, alors même que ces règles avaient été tacitement " aménagées et adaptées " par nous d’emblée, là même, dans la plus grande perversité et en toute innocence, il entendait tirer le profit d’une triple jouissance articulée : d’abord mon aveu, ainsi ensuite son maintien de figure de la loi – c’est à dire, en conséquence à ce point précis, le troisième point : il réservait pour lui l’état de ses sentiments à mon égard. Il perdit sur toute la ligne. Et nous étions conscients lors du déroulement de la scène, à chaque instant, du détail qui s’y jouait à chaque instant.
Nous savions, chacun, que celui de nous deux – moi, qui franchirait la limite, s’exposerait à une mesure de rétorsion. La Faute tombait sous le coup de la loi, et la Punition, loin de tomber hors du champ du jeu dont la condamnation qui appelait la punition marquait la limite de fait, faisait partie intégrante du jeu.
Toutefois, ce que Maxime découvrit alors et qu’il n’a peut-être pas encore fini de penser, de nombreuses années après, consiste en ce que la Limite que nous avions fixée, pour être limite, marquait une finitude mais cette finitude, ou cette limite n’en finissait pas d’absorber, par les plis infinis qui la constituaient, les manquements à la loi.
Il avait cru pouvoir me faire avouer de vive voix mon sentiment, à l’occasion de ce qui (sur son répondeur) représentait déjà un aveu, et ce pour son profit, son propre gain psychique ; et, comme Figure de la Loi, il se trouva soudain ramené à être le maitre d’un domaine dont les frontières n’en revenaient jamais qu’à un effondrement sur elles-mêmes ininterrompu. Je veux dire par là que, chez nous (lui et moi), dès lors, tout trouva à se dire. Et tant pis si cette scène fondatrice ne prend pas place au tout début de notre relation. Tout trouva toujours à s’y dire. Et l’occasion sur laquelle sauta Maxime, un jour précis, pour me faire avouer, n’avait été qu’un calcul de son propre fait, un artifice – et mon soi-disant aveu du répondeur fut un prétexte dont il aurait pu aussi bien ne pas se saisir.
Nous le savions, nous nous aimions, l’orgueil, toutefois, fut un paravent qui ne fut abattu que lorsque Maxime avoua sa déception et lorsque moi, j’affichai une victoire " méchante ". Rien ne fut dit, mais l’orgueil était tombé. (Mais je ne persisterai à endosser ma propre méchanceté que si tu avoues la tienne…).
La date de cette Scène importe peu, bien qu’elle fasse commencer notre histoire par le milieu. Car ce qui devait être mis en place alors – les limites, ne le fut qu’à la faveur d’un échange de tirs croisés (comme à notre habitude) dont les projectiles partaient dans toutes les directions du temps. Il n’est rien, entre nous, qui ne soit calculé. Simplement, nous ne sommes jamais au fait de notre propre horloge mentale, ce décalage, c’est ce que d’autres appellent le Hasard. Et sans doute sera-t-il dû au prochain Hasard de nous revoir.


La Conscience


[…]
" Je suis trop près ", dit-il avec un tremblement.

Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,

Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
[…]


Victor Hugo

lundi 9 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - II


Si la mort n’existait pas…


La guerre n’éclot-elle pas toujours à point ?
Quand la panse des nerfs chauffés au vif par l’accumulation, est lasse de crever et recrever sous le boutoir du quotidien morne et lourd, elle se lâche et se lance jetée à la bataille, noyant au feu son ventre flasque. Son lieu mou, cette face d’aller de l’avant quand on s’ennuie. Quand on encaisse. Son lieu des lâchetés et autres habitudes. Verser au sang. Aller, en chantant, vomir au dehors ce qu’ordinairement on vomit au dedans. La guerre est affaire d’indigestions. Quand trop est sur l’estomac ; quand on se vide pourvu qu’on se pende. La guerre est ainsi toujours cuite à temps, on la sert pour un festin dont l’unique préparatif est la lente fermentation de la soupe, un liquide inoffensif et aussi pur que le pain mais dont non la pénurie et plutôt l’excès, à la longue, explose la marmite en propulsant partout des fragments d’assez. Les bulles du solfatare seront les dômes. Le ventre, pris dans le retournement par la rage, s’est armé d’armure, il sera le dogme. La guerre n’a jamais pour bonne raison que la mauvaise raison de l’autre. Elle s’en fabrique, des autres. Toujours nous y accule de n’en plus pouvoir, de ne plus pourvoir et pour aller y voir – jusqu’où il faudra tuer à l’autre : pour que redescende le flux au niveau de l’amer – car tout, et tout, après, sonne penaud, timide ; lorsque la tête repointe le nez hors du manche ; puis on se retrousse les manches ; puis… et puis quoi ? Puits. Pffuiiit. Bof. Ça recommence ? Pas même, ça continue. Mais l’économie " de reconstruction " aura fait un bond. Et puis quoi. La guerre secoue. Elle (nous) remue. Elle aura été là. Ici, même. C’est toujours un malheur, que voulez-vous… L’essentiel, c’est d’avoir la santé. Ah va ! Elle ne l’emportera pas au Paradis. Combien pour ce pets dans la vitrine ? Je veux un collier et une laisse roses. Je l’appellerai " Satin " parce que sa fourrure a des reflets… des reflets… des reflets… mais enfin ! tu vois bien ce que je veux dire ! Oui oui, des reflets… de porc-épic. Cela même, un porc épique. L’éthique selon le porche ; l’éthique qui mène à l’autel sous la voûte où le curé balance l’encensoir du soir espoir, aura rompu le pain et encaissé le sang sous la langue puis dans les tripes. Ite missa est. " Croire ", là est le nerf qui ne fait jamais question si ce n’est pour départager entre nous, quoi croire. Ça se prépare de loin, ça foire, ça casse et ça passe. Ça finit toujours par péter. Et quand on persiste à ne croire en rien, serait-ce qu’il faut défendre les innocents, on est bien embêté. On y va quand même, parce que ça se fait. Ou bien on s’oppose, mais ça, c’est un autre genre dans le genre du même genre, version l’étale, on s’étale, on s’arque et boute, on n’a pas gagné, on n’a pas perdu. Moi, je choisirais pas si on me posait la question. Vraiment ? Est-ce possible ? Tu laisserais aller ? Oui, la valse tourne d’elle-même. Mourir ici ou là… Non, mais mourir plus tard ou plus tôt, il faut que tu y penses.


(Jamais auparavant encore ne m’étais sentie aussi proche du cœur des choses, jamais auparavant encore n’avais navigué en des eaux de profondeur aussi immobiles, et par dessus l’épaisseur dense que fend ma proue, je voyage mobile, glisse et dérive calme, lente et sûre. Je suis aux confins, en des territoires qui précèdent où cela s’achève. Je suis à peu près morte, j’en suis consciente et voyage, encore. Je suis si calme tant la lourdeur me maintient à l’aplomb de tout, et surplombant ainsi à peu près la Raison de Tout : je sais, mais sans connaître ma connaissance. Je suis calme, je vois le fond des choses, je meurs lentement, sans panique et avec morgue et délectation de voir ainsi s’ouvrir à moi tous les secrets. Ce n’est plus qu’une question de temps – et le temps est dans ma poche. Je l’en sortirai, dégainant le peigne qui aligne les faisceaux et met de l’ordre dans la crinière d’Andromède car je vais jusque là, parsemant le là-haut de cristaux de sels comme au premier jour le fit le Créateur. Je suis dispensatrice d’un sable d’éclats clairs, rayonnants, notre mort, à ce jour. Radieuse face du soleil, irradiée face de la lune et pensive facette de la terre où se découpe un quartier d’orange. J’ai fait le jus et le pari de boire de cette faux, l’eau qui dégouline lorsque la faux retranche la parole de chaque gorge qui s’épanche. Trempant mon doigt à sa lame, je ramène essorés sur la pulpe de l’index les derniers relents du suc. Libations d’eaux fraîches, puis, Grand Calculateur de temps me verse à la paume l’hostie que je porte aux lèvres : la pierre, le caillou, tout ce qui descend vite, chutant, au fin fond infini des puits. Je suivrai sa course, et tombe. J’égratigne chacun de mes genoux aux portes où je frappe, tout s’ouvre, en une réaction en abymes, je pénètre là où la densité n’a jamais laissé aucune place à l’Être. Cela s’appelle " peut-être… ", mais tout en ne se connaissant pas pour ce que c’est. Le peut-être est de l’ordre des choses dites. Il ne m’entame pas. Je résiste. Premier et jour dernier de la bataille. Chlore d’une éclosion : je ne suis guère que làsse.)



Les Liaisons Dangereuses :


Lettre 152, de Mme de Merteuil :


" Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon extrême timidité ! Comment voulez-vous que je supporte l’idée accablante d’encourir votre indignation, et surtout que je ne succombe pas à la crainte de votre vengeance ? d’autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. […] "


Lettre 153, du Vicomte de Valmont :


" Je réponds sur-le-champ à votre Lettre, et je tâcherai d’être clair ; ce qui n’est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.
[…] Il n’était donc pas ridicule de vous dire , et il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même, je serai ou votre Amant ou votre ennemi.
Je sens à merveille que ce choix vous gêne [.] […]
[…] vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. "


La Marquise répond, écrit au bas de la même page qu’elle retourne :


" Hé bien ! la guerre. "


Choderlos de Laclos