vendredi 31 décembre 2010

Image d'une plage de Temps

Bellini - Allégorie sacrée
à quoi bon, en des temps de détresse...

dimanche 19 décembre 2010

D'un emboitement l'autre. Comment-taire.


On n’écrase pas l’eau. Son caractère fuyant, sa plasticité extrême comme son irréductibilité m’empêchent d’écraser l’eau, et lorsque j’avance dans ma pensée, progressant pas après pas, je ne peux que me rendre à l’évidence : ce pied que je pose chasse l’eau, la botte de ma jambe qui se moule extérieurement à ma jambe n’est que le lieu de ma jambe, étroitement découpé dans l’eau et d’où celle-ci a fui. L’eau a reflué, elle me baigne, je ne l’occupe pas mais elle, m’assaille.
Ainsi ce rêve dont je désirais presser, pressurer la substantifique moelle, ce rêve me glisse hors cerveau ; en posant mon pied hors du lit à midi, à mon reveil tardif, mon rêve s’est enfui comme une savonnette que chasse justement la cage de mes doigts qui tentaient de la retenir. Et je ne peux, maintenant que la soirée est avancée, qu’avoir quelque vague impression que ce dernier rêve en date, m’est revenu visiter dans la journée, je le sais, je le sens dans mon effort-même de me le remémorer maintenant. Il est la trace même de l’eau, diluée dans l’espace et le temps de la veille. Peut-être, lorsque, à la nuit, je me coucherai, il se redressera de son oubli. Je ne le souhaite plus, je ne souhaite pas qu’il se réveille quand faiblira ma conscience car maintenant que j’écris sur cette impossibilité à me le remémorer, je ne supporterai plus qu’il vienne par sa nature, son contenu, démentir toute l’impression qu’il me donne alors que je décris ses rives. J’écris sur rien. Et je ne voudrais pas que ce rien me soit retiré par l’opération du rien s’ouvrant en deux, prompt soudain à me révéler ses caractéristiques de rêve, en quoi il fut un rêve. J’écris la rive depuis la rive. J’écris en quoi consiste l’impalpable de la rive alors que c’est ici même que le lointain de l’horizon, le rêve si l’on veut, trouve une matérialité, serait-ce celle de l’eau. J’aime le champ des paysages marins, leur horizon mouvant mais ancré à la terre, d’où il est démarré par son mouvement de balancier qui ne quitte pas son ancrage sauf d’une tromperie éternelle et sue, qui est le mouvement même des vagues.
J’écris sur le désir d’écrire quand rien n’est à écrire, non que je sois dans un défaut d’inspiration – je le sens bien, il m’aurait suffi d’attendre quelques heures de plus, et je suis patiente – mais j’avais envie de savoir ce que, je crois, je ne découvrirai pas : savoir s’il existe, au préalable très concret du moment d’écrire, un mouvement d’aspiration, d’effondrement des forces sur soi de " qui écrit " (à défaut d’être écrivain), créant ainsi une dénivellation, un déséquilibre dans l’ordre des idées s’appelant à être comblé par d’autres idées, des mots, des images, des sons. Cette béance, je peux la reconstruire par la théorie, le résultat de mes réflexions, mais il ressort de la pratique, toute inexpugnable, une réalité obliquement différente : comment pourrais-je prétendre déceler, désceller de son mur la brique qui par la répétition de son motif, le constitue tout entier ? Comment pourrais-je d’une voûte prétendre isoler la clé de voûte ? En d’autres mots : d’où, de quelle réalité, de quelle légitimité surgirait cette béance, en tant que telle, alors que vouloir la nommer, par et dans la définition même que j’en donne, suppose qu’elle n’existe pas pour soi – pour elle. Elle n’a de teneur que de ce qu’elle conditionne et qui, dans un même battement, synchrone, la conditionne.
Comment vouloir prétendre tracer une limite de partage structurel au sein même de ce qui ne fait qu’un ?
Le rêve s’il se révèle dans son contenu, sera hétérogène à la sensation mentale où m’a plongée la frustration, transmutée, de ne pas le retrouver. Je ne souhaite pas que ce rêve se redéploie lorsque je me rendormirai, ce soir, pour ne pas avoir à vaciller sur les pavés inégaux de mes sentiments et tomber d’une Nature en une autre, ce qui n’a rien que de très déplaisant. Comme de perdre une pensée où l’on était, où l’on se sentait bien pour tomber en une autre, venue on ne sait comment, qui demeure sans chair ; on se retourne sur soi pour constater la béance du Lieu perdu.
Ecrire à froid, ne pas saisir l’écriture en marche mais artificiellement assembler des mots de peu, des mots sur l’absence de mots, de cela je voulais savoir si cela suffisait pour rédiger un texte qui se tienne. Je voulais savoir si l’on peut fabriquer l’appétit, si la faim vient vraiment en mangeant. Mais ce serait faire peu de cas de ce qui a présidé à-, décidé de- cette expérience. Au désir il aura bien fallu un désir : un désir antécédent au désir. Rétroactivement, rétrospectivement, à rebours jusqu’où faudra-t-il à chaque " désir de- " placer un autre désir, causal ? Et pourquoi en venir à situer le Désir d’écrire dans une réaction en chaîne, un emboitement-déboitement-succession de désirs ? quand, selon la démonstration faite plus haut, il semblerait que deux suffisent amplement. Si le Désir est faible, il suffirait donc de l’articuler à la ténuité d’un désir d’écrire ? Mais qu’est-ce qui débute le désir ? De quelle vacuité, de quelle platitude surgit-il ? Comment est-il possible qu’au rien de l’indifférence succède cette sirène dans toute la matérialité de sa succion, dans toute la force de son absorption ?
Comment est-il possible de sauter d’une continuité/discontinuité en une autre ? L’humain est-il doué du gracieux pouvoir d’enjamber les vides ?

C’est d’un professeur de mathématiques que je tiens que la fable d’Achille ne parvenant pas à dépasser la tortue lente qui marche devant lui (il devra franchir d’abord la moitié de la distance qui le sépare d’elle, puis la moitié de l’autre moitié, etc sans que la distance qui les sépare, la tortue persistant à avancer dans son mouvement, s’épuise jamais), que je tiens que cette fable qui fait tant gloser la philosophie reposerait sur une erreur, ou une Faute.
Si le temps s’inépuise continuellement de l’une de ses bornes à la suivante, il n’en reste pas moins que nous sommes mortels et que nous en venons tous à faire, ultimement, l’expérience du saut. Quant à croire que le mouvement qui nous bascule d’une réalité dans une autre réalité qui, selon la conscience, selon notre conscience, n’existe pas, quant à croire que cette culbute soit " unique " en son genre (et dénaturée par nature puisqu’elle plonge l’autre de ses appuis dans le Néant), ce serait naïf. J’adapte librement, je traduis lointainement la pensée mathématique du professeur. Je fais quotidiennement l’expérience de la mort, et jusqu’à la mort, toujours, je continue à vivre, mais ce qui fait que cette expérience sera (ultime moment de retournement du futur en présent), de fait, unique est son impossibilité, de fait. Je fais quotidiennement l’expérience de l’impossible. Mais quelque chose m’empêche de le savoir, d’en avoir la connaissance – si ce n’est par la pensée.
Alors même que la pensée l’a créée de toutes pièces – avec des mots et des concepts, par les mots empilés comme des briques, la pensée démystifie la fable d’Achille et de la tortue. La distance n’est pas une matérialité, quand bien même on pourrait la saturer à l’aide de murs, seraient-ils en devenirs. Et, à cet égard, la mesurer comme on le fait d’une table, est aberrant. Mais on peut la jalonner à l’aide de " Chance(s) " et s’il ne semble, intellectuellement, guère rassasiant pour l’esprit de se nourrir des fastes des Prédictions et autres Prédications, nous ne pouvons passer sous silence cette vérité que l’Espace est ce qui du Temps se creuse, sur place. S’il a pu sembler simple de " croire " à l’espace parce qu’il est habité, et de plus ou moins dénier une " réalité " au temps qui reste toujours, dans sa matérialité, ce que nous situons, ultimement, " entre ", c’est à dire un vide, nous ne pouvons oublier que Saint-Thomas a cru, a pris pour preuve de la Réalité, le mur, fût-il fendu par une plaie (et a cru pour ce surcroît de vérité solide aussi et surtout, selon la Bible), qui opposant un corps à son propre corps lui objectait l’espace sous une forme pleine (sa preuve !…).
Mais Marie l’Egyptienne fit l’exacte expérience contraire. A son désir de pénétrer l’Eglise de la Résurrection dont les portes étaient béantes et aspiraient le flot des pélerins, fut opposé le Mur. Un mur qui n’eut d’existence (de réalité ?) que pour elle, un espace sous sa forme creuse, " trouée " qui s’opposa à elle dans toute la force d’un déni de réalité. Elle, aussi, put douter de sa vue quand elle se vit refuser de franchir un seuil complètement ouvert. Certes, elle ne fut en butte qu’à son Désir, ce qui détermine bien des choses. Mais, justement. Si nous ne pouvons assigner de réalité à la réalité que de ce qui se mesure à notre Désir, alors pourquoi croire impunément qu’il soit " rationnel " et fondé de vouloir mesurer l’espace et, surtout, d’en tirer des fables métaphysiques ? L’Illusion, jusque sous sa forme extrême d’hallucination, touche à tous les sens. Ce que Saint-Thomas montre de par son expérience, est dé-montré et dé-monté par l’expérience de Marie l’Egyptienne. (Ce ne fut, en quelque sorte, que par l’" actualisation ", au sens d’une " mise en temps ", de son désir qui jusque là s’affichait comme contre-Désir ou désir de désir, que Marie, sachant, put pénétrer le Lieu Saint, désormais en fin ouvert). Et cela converge vers une morale unique. Si le Temps ne doit pas être réel, alors l’Espace ne l’est pas plus. Si le Temps et l’Espace existent bien, ou du moins ont quelque réalité intrinsèque quant aux cadres qui baignent et tissent la forme de nos expériences, cette réalité serait-elle un acquis évolutif, " historial ", alors ils n’ont de réalité que celle que nous pouvons nous reconnaître à nous-mêmes, c’est à dire de l’ordre du probable, à tout instant.
On ne peut affirmer : " Achille dépasse-ra la tortue " ou son contraire. Et ni l’épreuve d’une logique insuffisante, ni l'épreuve d'une science mathématique "suffisante", ni celle d’une réalité platement banale ne peuvent conclure. (A ce titre, une Vérité peut toujours sembler d’une V. " exponentielle ").
Il appartient aux rêves seuls de donner toutes les versions d’un même fait dans leur déploiement, mais ils sont labiles. Et il leur suffit, justement parce que nous les oublions si facilement, de ne donner qu’un échantillon de ce qu’ils sont, pour que nous les tenions pour ce qu’ils sont : des rêves, le Désir de ne jamais terminer une histoire. Toujours la même et qui recommence sous l’aspect de continuer en des termes, avec des mots qui varient. Et bien fous nous serions, tous, de nous fier au déménagement en cercles désenclavés des grands chevaux de bois d’un manège, entraînés par le désenlacement halluciné et tournoyant des scies musicales, hurlantes d’une fête forraine. Je saute, je ne tombe pas. Je cours, je ne marche pas. Je chante, je ne pleure pas. Je vis, je ne rêve pas, je rêve.
22/10/2009-23/10/2009

D'un emboitement l'autre. Image.

William Rimmer
Flight and Pursuit
Assurément, une facture pompier, mais...

samedi 6 novembre 2010

"Eclatements"

Henri Michaux "Eclatements".
Pour ainsi dire une implosante fixe dont les coulées résistent à la pesanteur dans la mesure même où, même par le haut, elles n'y cèdent pas plus que nécessaire.

vendredi 5 novembre 2010

Et plus chair vive que morte III


Ce jour-là, j’arrivai à l’heure comme à mon habitude, je me sentais vieillie d’une nuit supplémentaire. J’avais cette impression de boiter par tous les bouts. Les étudiants bavardaient, je les fis taire et j’attaquai. Je les priai de saisir dans leur main gauche la copie du texte, distribuée la semaine précédente et qu’ils devaient avoir soigneusement lue pour la séance de ce jour-là précisément. Je lus le texte à voix haute afin qu’il résonnât dans notre mémoire immédiate, espérant bien qu’ils l’avaient effectivement déjà déchiffré. S’il en était ainsi, la mémoire proche et la mémoire légèrement plus lointaine s’en superposeraient et nous ferions du bon travail.
Le titre " Eplucher la plus vive que morte ". " Titre étrange s’il en est, dis-je, que l’on peut interpréter à la lumière de – je cite les mots de la phrase du deuxième paragraphe de la page deux : " Soudain, l’on entendait la lice de l’enfance aboyer raisonnante, etc… ". Cette lice au registre grave et ‘’lisse’’, du moins peut-on le supposer, " va pisser son miel au pied du bonhomme qui fond, etc… " Il faut, donc, ici lire : ce qui ‘‘se-lit’’ ici, ce qui ‘‘se-lie’’ ici " dans la tiédeur de l’urine ", supposera-t-on… Un étudiant m’interrompit : " Mais alors, Madame, doit-on penser qu’il y a un rapport de cause à effet entre ce que ce " ‘’Patron’’ d’une entreprise de sanitaires publics ", ainsi qu’il est mentionné au premier paragraphe de la deuxième page, fabrique (des lavabos) et l’écoulement des eaux de la poche rompue d’un moteur à réactions ? ". " Votre remarque est fort pertinente, il vous faudrait la déplacer jusqu’à la salle d’eaux attenante à la bibliothèque où l’écoulement illicite des livres imprévus passe par les canalisations afférentes au cerveau poissonneux du Patron en question. Car le ‘’matériau’’ que chérit cet homme aux fins de ses constructions, consiste justement en une démolition, du moins selon l’auteur (c’est là mon point de vue), due à l’inversion en tant qu’elle obsède, fascine, répugne et, pour tout dire, mène à la dénégation, au déni : l’in(-ter-) version entre elles de la turbine d’un lavabo et de la gouttière du ‘’chat commun d’Europe’’, ainsi que je ne pourrai pas le citer, pour cette bonne raison que cela n’est pas dans le texte ". Etc, etc… " Je continuais.
J’en vins, finalement, à la conclusion que je leur déclamai sur un ton peu badin, que j’avais doctement mûrie, conclusion où le pourrissement des mots, à force de me les être répétés cependant que je les notais sur mes fiches de cours, fleurait la vérité impulsive mais ressassée de ce qui m’était d’abord apparu comme une Révélation. Mais oui.
Le projectile étranger, dans ma mémoire, recommença alors soudain à vrombir, s’il est vrai que jamais ne s’arrêtait sa ronde de veille, il sonnait parfois des coups de semonce grandiloquents qui m’avertissaient d’une menace imminente, de l’ordre d’un conflit pétaradant entre pensées contradictoires. Le cours se terminait. Je ramassais le tas de mes papiers. Je réfléchissais dans le désordre, le bouton d’une mouche énervée me remuait le visage et je perdais le fil. Je m’étais habituée à boiter, comme s’habitue à pencher la bouteille au liquide mobile, dont la mobilité lui confère le déséquilibre du verre à moitié vide et à moitié plein. Au plus fort des crises, mon visage s’animait de tics fébriles, et, comme à mon habitude depuis ce réveil face au miroir où je me connus dotée d’un grain, il me fallait, dans les moments paroxystiques, intervenir par un discours véhément afin de couler dans la gestuelle d’un débat enflammé, les agitations irrépressibles de mes traits. Je saisis le premier étudiant, au hasard, qui s’apprêtait à quitter la salle. Je l’interpellai à coups de grands gestes. " Holà, vous ! ". Je n’eus alors plus que le temps de me taire.

La porte qui n’avait pas été hermétiquement fermée, volait en éclats, sous l’effet gigantesque d’un poing frappeur qui assénait sa masse de colère sur son panneau, depuis l’extérieur. Le patron était entré. Il était rouge. Ainsi donc, nous y voilà, me dis-je. La crise sur le gâteau est sur le point de se dénouer.
" Vous ! " hurla-t-il dans ma direction, il me faisait à peine face. Il m’accusait et j’accusais un coup parti de la bave de sa méprisante lèvre inférieure, une énorme giffle de postillons, un crachat qui ne disait pas son nom. " Vous ! ". Comment osez-vous ainsi contrevenir à mes ordres. Mais je me doutais bien de votre corruption. Mais je prêtais l’oreille. Je veillais. " Comment avez-vous osé ? ! ".
Mon visage, saisi, s’était figé et devait afficher la mort.
Il vitupéra longtemps et je savais que je n’aurais jamais dû traiter de cet auteur dans mon cours, mais la réaction du Patron tournait à la bombe qui neutralise tout dans la force de son souffle. J’étais emportée dans le mutisme de plomb de mon saisissement. " Vous, truie, vous, chienne. N’en aurez-vous jamais fini de chercher à humer par où passent mes ordres ? Je vous avais, comme à toutes et à tous, interdit cette femme, cette hyène dactylographe, cette purée d’ordures, cette semence de caniveaux, d’un niveau plus bas que ne le fut jamais le plus consciencieusement et laborieusement honnête des gratte-papiers. Vous, putride par excellence, vous mangerez jusqu’à la lie, le résidu de ma colère. Je vous chasse. Je suis maître chez moi. Je ferai donner les chiens. Ils vous pisteront jusqu’aux plus profondes et nauséabondes ténèbres, ils ne vous laisseront pas de repos, ils se feront un repas de vos cuisses, de votre gorge, de votre ventre. Vous croyiez détenir la Vérité dans sa puissance ? Il n’y a pas, ici, d’autre Vérité que moi ! Je suis Celui qui sied. Vous avez cru dévoiler ma vérité par le regard sur une nudité qui ne se cache pourtant pas mais qui n’aime pas à être formulée dans la férocité. Il ne me plaît pas. Il me déplaît que vous vous arrogiez le droit de me déplaire. Les chiens se feront un festin de vous. Vous vous imaginiez mener l’enquête de la littérature ? Vaniteuse petite personne insignifiante, va ! Chienne couchée, chienne couverte, chienne puante. Je m’en vais vous donner une leçon qui vous chauffera le cuir, je vous cracherai au visage jusqu’à le noyer, je vous enterrerai dans une boue dont il n’y a pas de retour. Vous allez geler pour l’Eternité. "
Sur ce, il fit volte-face et disparut.
Ainsi l’oignon pelé, je pleurai les couches de ma personne décomposée qui gisaient éparses et ne laissaient plus rien. Et plus rien d’autre que moi qui n’existais plus, ayant perdu toute force et toute forme. Seul flottait le parfum coruscant d’un bulbe qui s’était ouvert et qui dans la déhiscence avait ravalé toute présence. Je n’existais plus. Non pas par les coups des insultes, rien ne nous matérialise plus et ne nous rend plus concrets que ce qui nous contre dans l’adversité. Mais j’avais été confrontée à un discours dont la vitupération violente avait laissé filtrer toute la vérité de moi-même, mon reflet même dans un miroir qui me ceignait jusqu’à l’enfermement. Je venais d’être confrontée à la vérité dans sa nudité qui consiste en l’" évidemment " de toute vérité par sa bonde. Plus disloquée que jamais, livrée de tous mes morceaux aux crocs de ma conscience, j’avais mis le doigt dans l’engrenage et j’entrais ainsi à la suite de mon doigt, par toute la continuité et contiguïté du corps au bras, entière dans la rotation infernale du mouvement de ne plus savoir par où commencer. Car je ne m’arrêterais plus. La sentence était désormais exécutée sans répit. J’étais redevenue ce que j’étais devenue à l’issue d’un rêve qui contenait une réalité qui aurait dû le déborder. Mais il n’en était rien. Je n’échappais pas à moi-même comme rêve de moi-même. La bifurcation de ma route vers sa propre trajectoire, s’inscrivait dans le sol, sous mes pieds, du seul fait que je marchais et que l’on ne choisit que selon le jet de choisir.
Je continuerai à vous parler bien sûr, à vous tous qui m’entourez, mais cela ne le sera jamais plus qu’avec cette aiguë conscience de vous dire cela seulement que je vous dis. Tout ce qui en déborde fait partie intégrante du dire. Je suis confrontée à la Limite purpurine, celle que rien n’atténue, celle qui ne peut pas " y mettre les formes " simplement parce qu’à son confin, en quoi elle con-siste, se dénoue toute tentative de forme.
Je saluai les étudiants et disparus dans la porte ouverte.
Fin
"Et plus chair vive que morte" a été écrit du 07 au 09 mai 2010.

jeudi 4 novembre 2010

Et plus chair vive que morte II


Alors que ce soir là, je rentrais chez moi par le chemin tortueux qui descend la colline sur son flanc le plus beau, où je longeais une route aux voitures rares d’un côté et aux jardins clôturés de hautes haies de cyprès de l’autre, je fixais le ciel et, par delà, la mer, ils s’épousaient ensemble selon une couleur indémêlable, fondue dans le quasi-couchant flamboyant, en ce printemps acéré des jours de grand vent. Cette nuée, cette toile développée en volumes apparaissait envahie par les ramures proliférantes des arbres qui la fendillaient de fissures, encore ténues ensemble par un branle qui se refusait, le vent bougeait à peine et désolidarisait peu le décor, en attente. Le nez ainsi en l’air, j’avais miraculeusement évité le tas ramassé laissé là, sur le trottoir, par un chien, et je repiquais mon regard vers le haut, les sourcils marqués d’une obscurité montante je les fronçais, de manière à persévérer dans mon devisement, dans mon " dévisagement " du paysage ; le vent enflait. Il ramenait de l’horizon ce qui s’y donnait déjà à voir et qui l’avait annoncé : la précision ; la précision des contours. Et dans cette découpe nette de la grande beauté du quartier, j’aperçus une écaille tomber, puis une autre, une tache par perforation se creusait qui plombait ma vue. Peu à peu, la peinture s’effriterait, son vernis craquant, ses miettes sautant, s’expulsant hors d’une surface qui ne contiendrait plus rien. J’avais achevé, ce soir-là, un cours magistralement interprété, destiné à des étudiants indifférents, par une remarque incongrue dont le souvenir, parce que je l’avais perdu, me hantait. La faculté sur le haut de la colline avait maintenant allumé tous ses feux, et moi, dans la lueur des lampadères désormais, près du bord de mer, j’enfonçais une clé dans une serrure ; il s’avéra que j’étais rentrée chez moi, j’étais en face à face avec la porte. Décidément, j’avais oublié.

" Soudain, l’on entendait l’Alice de l’enfance résonner raisonnante, son toit lui faisait un chapeau, sa maison lui faisait un tablier et des deux cymbales au bout des bras elle tapait le son sur quoi glissait emportée la Reine des échecs le long de sa diagonale. Le concert avait commencé. Une opérette à deux sous ; un ballet de marionnettes déguisées en miroirs. Le champagne sauta, la trompette bâcla sa sortie, il était temps de nous retrouver sur le carreau, minuit avait sonné, il fallait rentrer, par le chemin balisé des miettes dévorées, noyées dans les sucs gastriques de l’Invisible d’un bonhomme qui attendait sa neige pour adopter sa forme.
Cette agréable foire qui encombrait mon lit, par la remontée dans un rot à l’entendement, me fit repasser, soudain, par tout le menu, le souvenir saillant devant les yeux, vrombissant dans ma cervelle comme le marteau-piqueur creuse qui tombe sur des vestiges. Vertiges. Pas de deux du cygne solitaire, cadence d’oie, malaise intestin. J’étais couchée sans retarder. Je partais dans le bruit, somme des nuits et relevé comptable à des fins de non-imposition sur l’infortune. J’allais en venir à passer par des temps pliés et sévères où les dérèglements de la Raison allaient m’armer, pour la vie, de toutes les possibilités de passages-langages, pour la mort. Un livre, d’aventure, me livrait ses secrets tournants. Je perdais toute notion d’âge. Quand ? Deux mains. Mais non ! messie, voyons. Par le trou et dans la serrure, jusqu’à l’œil, allons-y. Let’s start again. Sur quoi donc allait s’ouvrir le pan de mur pivotant sur ses gonds ? Nacht ! pont entre deux eaux, ou, la béatitude de vrai-ment souffrir pour de faux en cette cage, soleil des os, charpente résiduelle due à l’éternité, ce thorax dont le clavier montre des touches sans distinction de sons, le même mot, toujours : " Va donc te pendre si tu veux prendre sur le fait le rêve dont tu dépends ". Je retombais sous le gibet, mandragore à s’élever du sang des morts, j’en respire l’infusion bouillie jusqu’à totale évaporation et, endormie, je repose dans la bulle nocturne des Merveilles, dans l’apesanteur du sommeil de plomb des rêves qui sont forcément tenaces, comme toute réalité qui s’effectue. Chaque nuit, je change de vie. Cette nuit-là, je changeai de mort. "

Le lendemain, au matin, alors que je soulevais languissamment la tête du lavabo au miroir, je le vis, avec une surprise qui ne me prêta, sur le moment, pourtant pas à penser, je le vis : que mon visage avait muet. Lorsque j’arrivai à la faculté, précisément au mess des professeurs, je ne fus pas étonnée que l’on s’en aperçût, mais je le fus que l’on me reconnût. En cours, les étudiants eurent un œil ouvert et un œil fermé, car il s’agissait sans doute à l’aide d’un crayon, de viser en moi le détail qui avait basculé, sans doute dessinaient-ils mentalement l’anomalie dans la coupe de ma figure par où se dérobait sans fin, celle que j’avais été. Assurément, pensai-je, j’ai un œil plus rond que l’autre. Ou bien la balance de la commissure de mes lèvres s’est infléchie d’un côté. Ou bien le nez a poussé. Je ne savais pas. Mais, j’en vins à la conclusion incertaine, selon un cerveau, le mien, remué par le branle du doute, que le détail insituable se déplaçait sur mon visage à l’image d’un grain de beauté pris dans la dérive d’une peau que plus rien ne retenait. J’étais, je crois que le mystère en cela se trouve, devenue entièrement mouvante. Tous les degrés de ma personne, du corps comme du psychisme, évoluaient selon une vibration désarticulée, dans un désordre dont je ne savais dire encore s’il était riche ou pauvre en heurts des parties entre elles ; les morceaux en quoi mon corps se décomposait et se recomposait sans fin, reposaient pour chacun sur son tapis volant dont la multitude présentait toutefois la cohérence relative de se déplacer dans la logique d’un Tout : l’apparence que j’avais gardée malgré son visible et inassignable défaut, de constituer un seul et unique corps. Du moins, de cela l’on ne sembla pas douter autour de moi, " autour de moi ", chacun de par sa position autour de moi semblait m’assurer d’une localisation contenue dans l’espace, dans un lieu déterminé et terminé, dont, quant à moi, pourtant je doutais fort.
Cette sorte de malentendu fondamental et radical ne franchit jamais, chez qui que ce fût, la barrière du parler. Dans le silence le plus dé-concerté – ou dans la plus grande inconscience ? je m’installai comme autre au sein d’une communauté déjà minée par les fantômes de l’altération et de l’aliénation. Je faisais office de noyau dur, infracassable au cœur du fruit. Nous continuions comme si de rien n’était. Mais la balle tirée depuis un revolver anonyme se déplaçait sous mon crâne, ne laissant pas de repos à ma pensée alors même que je commençais à faire office d’écharde dans le grand corps de la faculté. Mais, peut-être, ma mauvaise conscience était-elle si grande que j’y projetai, de mon intérieur vers un extérieur que je réassemblais en corps, le grain de sable de la perturbation que je ne supportais pas dans les seuls murs, au demeurant, non étanches et non fixes, de ma personne. Personne je l’étais devenu. D’un point de perturbation que je contenais, j’étais, pour ce que j’en pensais, devenue la reproduction, la répercussion éparse, à l’échelle d’une petite société qui ne s’en apercevait pas. Peut-être tout cela n’était-il qu’un songe, le mensonge d’une nuit dont je ne me réveillais pas et dans laquelle je coulais avec moi, le monde qui m’entourait, c’est à dire, finalement, pas autre chose que moi. J’étais entrée dans un rêve aux parois de nuages tissés d’acier. Je ne consistais plus qu’en un écho de soi-même issu, et qui sans faiblir ni s’accroître, martelait à des oreilles sourdes, un lancinant malaise que toutes ces oreilles fondues les unes dans les autres du fait d’une proximité contagieuse, renvoyaient dans un geste unanime au royaume des morts, comme on chasse une mouche harcelante bombinant autour. L’explosion avait commencé, mais depuis un temps certain déjà.
Le triste meneur de la faculté, dès ce matin étrange, ne m’adressa plus la parole qu’en me flairant par avance. Il semblait flairer la piste de mes pas pour savoir si j’étais bien arrivée là où je semblais être et d’où j’allais lui adresser la parole. Il semblait douter, pas vraiment de la réalité, au mieux de la mienne seulement, mais de ce que je fusse toujours humaine. Ni lui ni moi, à cette époque-là, n’avions la faculté de comprendre ou de prévoir ce qui se préparait. Il se méfiait. A juste titre. L’explosion se propageait, gagnant de proche en proche l’intégrité de la réalité intégrale.

mercredi 3 novembre 2010

Et plus chair vive que morte I


Ne pas parvenir à (re-)commencer est être renvoyé au précédent par sa fin, une fin en faisant état comme précédance même.

Sans aucun talent autre que son arrogance, cet homme assis dans sa bile verte, taillait dans ce qu’il considérait être le " manquement " d’autrui à la Qualité, le costume de ses avantages. A ne vivre que par des emprunts dont la consistance matérielle surgissait d’un, par lui, considéré " néant ", il ne vivait que bien car le confort qu’assure la médisance montre une assiette solide, stable, fondée qu’elle est sur la certitude préalable d’une opposition à tout. Et, de fait, il critiquait tout – parce qu’il ne comprenait rien. Ce qu’inlassablement le temps apporte de neuf, il ne l’admettait pas, et dans l’incapacité où il était de pouvoir porter un jugement sur quoi que ce soit, un jugement qui ne fût négatif, il ne se repliait pas dans l’abstinence, il assénait son jugement. Il faisait figure de fort tempérament, du moins auprès de son aréopage. Nous le savions réactionnaire, et le revendiquant. Cette perversion d’un " retour vers l’avenir " lui semblait la vertu même. Alors même qu’il se reconnaissait dépassé par son temps, il ne voyait de salut que par un temps qui l’eût rattrapé par derrière. Cet acte lâche par définition, qui tire au dos, il l’espérait et si cela constituait la chose, l’objet de ses attentes messianiques, attentes d’autant plus incandescentes que leurs qualités révèleraient dans la surprise leur vétusté éternelle, cette lâcheté représentait surtout la forme de ce qu’il devait considérer être au principe de l’Histoire – quand elle fait figure d’Histoire : dans ses moments de retournement, et, dans le même temps, représentait la forme de son esprit ou l’empreinte générale qu’avouait toute production de son raisonnement. Cette forme intime qu’il projetait sur l’écran de son interprétation du monde, parce que le caractère de lâcheté lui en échappait, devenait le Courage de tout remettre en cause – pour la raison qu’il ne pensait pas, et de cela il se flattait. Toute la pensée, bien réelle, qu’il développât jamais, consista dans un mouvement de résorption de la pensée ; non pas la pensée du négatif (dont il ne témoignait que trop) mais la pensée sous le signe de la négation. Il ne lisait jamais si ce n’est, des livres, le titre en relation avec le nom de l’auteur : cela lui était absolument nécessaire, car il dirigeait une faculté.
Ce à quoi il estimait due la précellence de sa personne consistait en une " lucidité ", qui, pour juste qu’elle fut, ne le fut jamais que par antithèse. Le considérer dans ses opinions revenait à avoir, par son contraire, une idée juste de ce à quoi, généralement méchamment, il faisait référence. Encore que remonter le parcours accidenté d’une démonstration par son antithèse, ne se fasse pas par la simple déduction des contraires. Il me fallut, pour cela, eu égard au personnage, avoir une entière " idée " de lui ; ou la juste pesée, la juste appréciation de ce que représentait, dans un corps petit et ventripotent, cet homme qui, malgré tout et malgré un désarroi malveillant, pouvait faire montre de bonté.

Le différend que j’eus avec lui, ne s’élevait jamais en vociférations mais rampait, larvé, dans une courtoisie que je ne voulus pas lui donner l’opportunité de détourner à son avantage, ce qu’il aurait fait si j’avais commencé à doucement argumenter, simplement en adoptant le silence perché en altitude de qui est attaqué selon des dogmes incompatibles avec la décence. Je ne tremblais officiellement pas face à lui, face à la menace qu’il promenait autour de lui en guise de chien de garde prévenant, sous les aspects d’un air revêche et, par avance, dédaigneux. Un dédain qui, du reste, était autant un travers de sa personnalité qu’une facilité dont il ne se départissait jamais, pour l’avoir à disposition, à la moindre occasion, puisqu’il pouvait justifier ainsi par ce biais de la qualité d’un livre (qu’il n’avait pas lu) : " ça ne mange pas de pain, veuillez bien l’admettre dans votre bibliothèque ". Il ne l’avait pas lu mais savait ce qu’il contenait en fait d’ignominies (pour lui indispensables). Par ce détour de le " conseiller " avec une condescendance personnelle, grâce à une évaluation qu’il voulait détachée et minorante, il fit emprunter à maint livre, le chemin tortueux des contrebandiers et fit donc entrer en fraude (il ne tenait qu’à lui de, en fait) dans la bibliothèque, à la disposition de tous, d’innommables immondices. (Il fallait maintenir le fonctionnement de la faculté dans une relative apparence – une apparence de quoi ? une Apparence, voilà tout).

Il possédait un gros basset artésien qui frottait, tout au long de sa démarche traînante et dandinante, le sol de son ventre, par les plis flasques dont son corps était tout entier affligé ; la bête était inoffensive et arborait un air bonasse, une impression surtout due à des paupières inférieures qui dans leur chute semblaient couler sur les babines de la bête. Cet animal aux contingences des plus terrestres, ne serait-ce que par une proximité avec le sol dont il ne décollait pas, résumait la pensée d’un maître qui, quant à lui, se permettait de l’agrémenter en sus, d’une agressivité pas toujours contenue. Ce couple d’une bête amène et d’un patron qui se voulait débonnaire selon le sourire mais ne parvenait qu’à être menaçant selon les dents, promenait une silhouette double, pour ainsi dire d’une gémellité contrastée qui dispensait alternativement la crainte, et le repos, le soulagement loin d’une crainte et d’une vigilance que l’on abandonnait par précaution, s’en remettant à l’air conciliant du plus muet des deux si l’on en jugeait aux aboiements, pour ne pas avoir à penser ce que signifiait d’avoir pour patron une brute. Car nous le craignions vaguement, même si nous nous faisions fort – tacitement – de lui tenir, respectueusement, tête. Le syndrôme de Stockholm flottait sans réussir à se poser, mais n’est-ce pas là le propre du sale ? Nous étions les " employés " d’une " entreprise " sans conscience révolutionnaire, (malgré tout notre savoir), avant le temps du courage, avant que le courage ne se ramasse avec la vitesse précipitée d’une exaspération qui déborde et qui fait, soudain, le coup de poing. J’attendais ce " soudain " que je ne soupçonnais pas. Depuis mon bureau dans la cave je notais, je notais tout, jusqu’aux courants d’air, dans une obsession de l’archivage qui cachait mal la colère de n’être qu’un témoin, la peur de devenir plus qu’un témoin et le désir de le rester à tout jamais. Mon travail de relevé du quotidien m’engageait, en quelque sorte, dans une activité qui n’était rien moins que cultiver un jardin, dont " on " ignore encore qu’il est situé sur un territoire qui ne tardera pas à devenir l’enjeu d’une guerre. On n’en réchappe pas. L’explosion allait commencer.

jeudi 28 octobre 2010

Rex Progress - Mais encore

Lucian Freud
"Etats de Crasse" a été écrit entre le 12 aout et le 30 septembre 2010 et "Rex Progress" du 09 au 12 octobre 2010.

mercredi 27 octobre 2010

Rex Progress - Epilogue

"Bouteilles" de Nicolas de Stael
"Bouts d'Elles et Bouts d'Illes" ou "Bouts d'Iles et Bouts d'Els"

mardi 26 octobre 2010

Rex Progress IV Ça manifeste


Sous quelle(s) condition(s) énoncer : " je suis seul(e) ", ne renvoie-t-il pas à un jeu de langage du même ordre inextricable que celui de dire " je mens " ? Il faudra en passer par la notion de " forme " pour que cette parole : " je suis seul(e) ", ait un sens qui ne confine pas au paradoxe, impossible même à fixer en ses termes. Car avoir la notion de " solitude " indique qu’originellement le lien fut noué. Être seul(e), au sens où l’on peut le dire, est une étape de/dans la solitude qui signifie que cette solitude n’est pas de dépossession. Devoir " en passer " par la négative pour cerner un concept, celui de solitude donc, en ce qu’il serait " vrai " ? ! Du moins fondé selon le sens commun général. La solitude véritable est ineffable (car métaphysique) et radicale. Elle est le fait de chacun puisque " la plupart du temps ", nous ne le savons pas… Quel genre de vérité peut bien constituer tout ceci comme énoncé ? – lorsque nous le savons. Lorsque nous le savonnons.
La bouteille a du cul-de-sac la finitude courbe de contenant. Une impasse (ou encore une rue sans issue) n’aboutit pas, elle pourrait conserver ses visiteurs si ceux-ci, pour partir, ignoraient qu’il leur faut, (à cette fin donc de quitter), refluer vers le goulot par lequel ils pénétrèrent (dans le cul-de-sac). Une bouteille abrite des liquides, des flux qui persévèrent dans leur être à des fins de devenir, devenir qui est, aussi bien, une fermentation ou une putréfaction. Les flux n’y circulent pas si ce n’est à tourner en rond, ils ne " passent " pas, ils mijotent.
Une bouteille est polarisée dans sa forme en ce que son rôle est de contenir, son importance est du côté de sa panse. Il faut savoir que jamais une bouteille ne rend avec plaisir son contenu car elle en devient, le plus souvent, bonne à jeter. Elle ne fournit jamais innocemment, gratuitement le plan balisé vers son issue (le goulot). Sa qualité est de contenir, sa qualité est la contention. Une bouteille n’est jamais neutre, non en vertu d’une nature mais par sa forme qui définit sa fonction. [On peut se poser ici la question de la " nature d’une bouteille "].
Qu’est-ce qu’un adepte de la dive bouteille ? Forcément un alcoolique ? Un dépendant ? Un jouisseur ? Est-ce le maître ou l’esclave qui boit ? [Cette question a-t-elle un sens ? ]. Question corrélative : Boire ? mais jusqu’où ?
Certes tout cela ne constitue qu’une métaphore, mais cette métaphore-ci, plus que jamais, a pour avantage de dénuder jusqu’à l’os le concept de forme. A ce degré de métaphoricité, en quelque sorte, la métaphore tombe. Comme la robe. Comme le voile. Comme le rideau. La réalité ou bien ( ?) le Réel saille hors de la fracture ouverte.
Est-ce de consister en une forme non-symétrique que la bouteille tient sa polarité ? sa possibilité de polarité ? sa faculté de polarité ? La tache de gras provoquée par ce concept sale ( ?) car peu honnête, peut-elle faire tache d’huile : se répandre ? Proliférer par cercle concentriquement propagé de son centre vers une périphérie inaccessible ? La bouteille tache-t-elle ?
Une bouteille remplie de sable est un gourdin qui en assommant, se brise et inonde.

Nos sociétés sont loin d’être au fond du trou, en revanche elles sont au fond de la bouteille, ou, plus simplement, dans la bouteille.

(cf (entre autres) Malraux : le bouchon qui se croit plus important que la bouteille ; les oiseaux)

lundi 25 octobre 2010

Rex Progress III


Je suis un jeune mec, j’ai le cheveu taillé haut, très haut, c’est à dire très court. Je suis le résumé d’une abstraction. C’est dans ce moule – d’une abstraction, qui ne contient rien à défaut de contenir du vent, dans ce moule qui contient un quelque chose qui est soi : le moule, que bifurqua ma route dans le jadis de maintenant. Ici je me suis séparée de moi-même, j’ai fait place au mot qui emprunta le chemin de se séparer de moi. Je n’ai toujours vécu que comme un personnage de papier et les créateurs m’avaient toujours donné vie avant que je ne naquisse. J’ai emprunté leurs voix ou leurs voies ; chez moi, autant du fait d’une homophonie non aléatoire – le français, ma langue, est ma Raison – que du fait d’une coalescence de l’encre à l’ancre, leur voiex fut mienne. Mi-haine toujours celle que ronge pour moitié l’amour. Je me suis lue partout à divers titres. Je n’ai pas de consistance, j’ai une essance : elle se nomme l’êttre et je n’oublierai plus dans l’avenir de me façonner un corps selon la règle qu’aura fixée autrui car si elle n’est de lui elle naît de moi. Veuillez, mille excuses, excuser le recul que je pris pour en défendre la Cause mais cette chause que le Hasard n’entérrine jamais est bien le Hasard et si je ne croise que le faire, je le fais toutefois avec l’art-deur. La teneur de mon dire : ne te prive que tant que dure la privation. Réjouis-(ensuite)-toi, jouis à pierre fente et ne relève du gant que la peau quand usée, elle se plie souple à toutes les coustumes. Oui, j’enfilerai la botte au chat qui pelote et grelotta du tas de ses contradictions. Je ne suis point simple – le moins que l’on puisse dire – est que de la sophistication j’ai l’innocence naïve de ne pas croire en toute foi non mauvaise mais simplement simple. Ne retournez pas la chose : elle se comprend en face à face, au pays des miroirs dont le reflet n’est pas sujet à caution mais à proposition de la part de sa source. On parle aussi de source pour une onde – une ondée : t’en vas la cruche à l’eau qu’à la faim tu ne te noyas point ; et, de fête, aile nagea. (Il vaut mieux manger quand vient la faim que se goinfrer sans faim). Connaissons nos fins dernières et nous serons exaucés et exhaussées. Salut à vous. (J’ai beaucoup de lectures face à moi). Ô Baise céleste – ce jour-si c’est sans ambiguïté.

dimanche 24 octobre 2010

Rex Progress II


Je suis un tas de chair à saucisse perclus d’hématomes douloureux, rien ni personne ne me contient et je me répands, je suis du monde l’homme le plus gros. Voyez mes plis flasques comme ils débordent, ils ne sont pas tant épais que coulants, à l’image d’un fromage trop fait, je suis posé sur cette couche qui supporte un poids de démesure, je suis une flaque de graisse nauséabonde : je ne me lève plus et ne me lave plus, tout juste si une mère armée d’une éponge frotte ce qui n’a plus forme humaine, par endroits seulement, non par décence, nous n’avons jamais connu ça, mais parce que beaucoup d’un corps qui fait légion dans l’affaissement, n’est plus accessible. Je suis un labyrinthe de graisses, mes plis ne me réservent pas l’extase de l’habit de gloire du malaise humain, j’ai beau fuir ce maintenant qui me cloue à ma rive de misère pléthorique, par un esprit qui s’esquive dans le refus de se savoir là où il en est : dans le tas, je n’en viens pas à l’illumination. Je ne peux que ruminer par l’échappatoire, je mange et je regarde la télévision : je suis bourré à l’extrême, jusqu’à être bourré à l’oubli. Rien ne me tient, ne me contient, ne m’enserre qui me détacherait de mon détachement, je ne suis que détaché des mondanités : je ne marche plus, je ne sors pas, je me répands à raison de quelques reptations supplémentaires chaque jour : la graisse progresse, elle pousse la graisse antérieure vers la périphérie d’un corps qui s’éloigne en permanence de soi. Je n’ai qu’une forme par défaut. Tout, tout me fait défaut. Je suis un sac sans contenant. Je suis le tas par excellence. Voici quelques années encore je réussissais à m’asseoir, les deux jambons de mes cuisses ouverts, mon ventre reposait entre, sur la chaise qui comptait double et qui a pendant quelques années offert à la mappemonde de mon cul une assise branlante. Elle a fini par céder, ainsi en suis-je " naturellement " venu à m’allonger. A me répandre. Je me répands par la chair, par la matière, je gagne des territoires si lointains et si inexplorés de la raison humaine qu’il m’est impossible d’en rendre compte à autrui. Je n’eus jamais d’autrui que la propre truie de moi-même. Rien, jamais, ne me fit face. La Chose la seule dans laquelle je ne me répands pas est le langage. Autrui a pitié, autrui se moque, autrui a peur, autrui compatit, autrui rit, autrui critique, autrui fuit, autrui s’asseoit à mon bord et tente de me saisir des mains depuis longtemps retractées dans des manchons de fronces adipeuses qui me dégoulinent au-delà des dernières phalanges des doigts. Autrui ne sait pas. Je suis las de leur pitié douceâtre teintée d’effroi. Ma seule consolation est ce qui me coule au fond d’un poids qui a fait puits sans fond depuis longtemps. Je mange. Je mange tout ce qui manque à autrui. Je suis le manqué, le raté dans sa marche de l’humanité. Je pends, au nadir, mon poids est au bateau sa quille d’équilibre – son tyran d’eaux. Son tyran qui a depuis longtemps perdu le sens de l’os et du squelette. Je ne suis plus un corps érigé, je suis l’échec et le repoussoir qui sert de butée répulsive à autrui. Je me couche face au Maître. Mais je n’ai plus non plus la force de redresser la nuque et je ne regarde plus le ciel. Je suis raide dans toute ma flaccidité, au-delà même de la raideur, je suis un sable dispersé, chaque grain coupe comme l’intangible mais le tout s’en ramène au tas dont la mollesse est tout ineffable. Je suis l’Innommable qui a rompu une carapace pour en gagner une autre. J’ai échangé un malheur contre un autre parce que jamais nul ne me fit face de cette façon que j’aurais à comprendre, comprendre que je suis seul. Ma solitude est inapte au concept de solitude. Je me fais défaut par là où l’on se fait défaut toujours, et je me comble de l’illusion parfaite : je ne me dé-pense pas. Je n’aime pas que l’on m’aime. Mais quant à cela, le risque n’est point. Pour résumer l’énorme, je ne me rassemble pas. Je suis passif.

samedi 23 octobre 2010

Rex Progress I


Comment le temps passe ! Ça ne fait ni une ni deux, je ne me rappelle jamais le jour : sur son coup – jour, mois, année ; rien qui reste, le souvenir, éventuellement daté, seul peut rester. Comme fleur de son bouton oublieuse, quoi que le jour dans sa formalité signale – rien, il ne reste rien, seule reste, la chair, mais qu’en faire, de celle qui tombe flasque autant que paquet de choses sans paquet, seul reste le tas. Ma mémoire est à l’image ! pour sûr. Pas de deux mais de trois et tant encore, tout ça. Le jour c’est flûte à jouer du vent : la mélodie sans les notes. Réfléchissons ! Que représente, à quarante-cinq années de bouteilles, le fait que je compte 45 fois le jour du 09 octobre et une fois une seule, soit dit en passant, le 09 octobre 2010 ? Rien. C’est une vieille habitude le 09 octobre, actualisé (le terme est très actuel quand on " s’informe ") à celui de l’an de crasse 2010, eh bien, malgré ! ça passe inaperçu. Autant que le 23 juin ou le 02 décembre ou le 01 janvier de l’année que l’on voudra. C’est qu’avec l’âge on se défait de tout et d’abord de ce à quoi on colle sans plus la notion de colle qui colle plus rien. Il faut un coup de semonce pour que les deux se rabibochent ! On saura définitivement que tel jour de tel mois de telle année, et même à telle heure ! il y a eu ça, un truc, un machin, un événement quoi. C’est du rare, c’est du lourd. Ça empêche pas que ça puisse se dissolver, je veux dire, dans sa date. On s’embrouille. Et des fois aussi, la chose fait date, mais sans sa date. C’est du pire ! Quand on vient pas à la manie d’écrire partout le jour, l’année, le mois, c’est assez mauvais signe. Quoique. Ça dépend. C’est selon. Les vibrations du compteur à radioactivités s’emballent dans le rouge ou alors, dans le noir, dans le bleu ou le vert, le blanc ou le sec. Faut pas chipoter, c’est tangent la notion de temps quand on en vient au souvenir ; ma mémoire, c’est la pagaille. Et pourtant je n’ai de cesse d’en ratisser le jardin, ses allées de pierres blanches, à force, se dessinent comme les filaments parallèles, courant tous au but d’un cheminement en méandres sans fin. Je crois avoir docilement rangé chaque caillou dans le tiroir de sa place au sein du devenir uniforme. Que dalle ! Mon jardin japonais est une jungle tropicale : conjuguez ces deux extrêmes, ces deux paradoxaux sans toutefois céder à la facilité des mélanges et du désordre, des contradictions ou du bizarre, vous verrez alors mon jardin. Borges ne l’a pas décrit mais prudemment contourné. On m’évite. Je suis un sac de temps hurlant, une outre comme une sirène qui chante le glas des jours qui ont tué. Je suis déjà morte plusieurs fois, y a qu’à choisir. Mon problème, de l’œuf c’est la coquille, de la graine c’est l’écorce et du plancher c’est la latte. Répugnance du lait sucré, chauffez-le et vous obtiendrez mes vomissures à vos chaussures. J’entonne le champ des canonniers, leur sainte est ma patronne. Non mais c’est dingue d’avoir à ce point suivi la ligne à laquelle depuis toujours confluent toutes les lignes et de ne pas avoir la notion de " conséquentialité ". Je veux dire, je comprends bien ce que représente une séquence voire toutes, mais là où ça bute c’est du côté du promoteur immobilier. Je n’envisage pas un Lieu commun. Un lieu commun à partir d’où, sous la voûte bienveillante d’une autorité souveraine et majestueuse, nous aurions été conçus de l’alpha jusqu’à l’oméga. Pas de Paradis originel, pas de jugement dernier. Pas de tête à triangle au-dessus de nous, ni Vishnu, ni Bouddha, ni Allah, ni Christ, ni Yahvé ou Perlimpimpin. Mon lapin, faudra-t-y faire, je prie pas. Je me lave. Et sans jamais tenir mon intérieur tiré à quatre épingles, infesté de poussières qu’il est, je m’habille avec soin. Je suis le paquet d’aiguilles d’une botte de foin, tu n’en tireras pas une paille : je pique et inflige le sang à qui me touche. D’une année à l’autre, d’un jour à l’autre, je ne change pas, pas vraiment, à la mesure seulement du temps qu’il fait. Je possède enclose par le menu la série des temps qu’il fit pour un temps qui fut chaque jour dans l’absence à soi-même, je chante parce qu’on me fait chanter, je croasse à l’échelle. Aujourd’hui il ne fit point beau. Ciao. Je m’en vais frotter mes lèvres au souci d’alcools forts.

vendredi 22 octobre 2010

Etats de Crasse - Clôture


Le beau Lièvre de Dürer, peut-être le cousin et l'ancêtre lointain du Lièvre de Patagonie.
"Etats de Crasse" a été écrit en hommage au peuple Rom.

jeudi 21 octobre 2010

EdC V Lé trange Drame


Nous n’appartenons pas à notre nom, mais nous obéissons à ce que nous nous donnons d’en entendre. Je ne suis pas libre en ce que j’ai (la) liberté, mais je suis libre en ce que je suis liberté. Les contours de mon corps définissent ma liberté, non pas de la façon anecdotique que mon corps a telle ou telle forme, mais simplement pour limiter ce qui est à soi sa propre limite. La liberté respire avec le corps, elle maintient le même taux, la même mesure d’elle-même quelle que soit la variation de cette respiration quand elle affecte le volume du corps avec celui de la liberté. Il n’y a rien ici qui puisse tenir lieu d’ombilic. Nous sommes libres parce que nous sommes. Notre difficulté à être détermine notre plus ou moins grande liberté. Le hasard existe mais nous ne le subissons pas au hasard. Au risque d’exagérer : notre destin coïncide avec une liberté nôtre. Ne cherchons pas à justifier notre liberté par le choix que nous en aurions fait car tout choix, toute activité du choisir s’effectue rétroactivement, dans l’après-coup – celui du dire implicite, alors que la liberté transporte avec soi, où qu’elle aille, son propre temps qui est un présent immuable. La liberté est l’Eternité dont on omet, dans son instant, la contemplation. L’extase est donc à un pas de distance, rares sont ceux qui le franchissent faute d’en connaître la direction. Faute d’être libres, nous revendiquons " ne pas être libres ". Mais être libres ne fait pas de nous des coupables.

On peut progresser dans la liberté. Il ne faut pourtant pas se voiler la face, nous sommes à la merci des contingences lorsqu’elles nous " dépassent ". La démesure est toujours ce qui pliera l’humain, devrait-il être l’agent de sa propre démesure ou de celle qui abat l’autre. Les circonstances (la Contingence) n’appartiennent qu’à l’opportunité, humaine s’il s’avère qu’il en est ainsi ; elles ressortissent, dans leur influence néfaste, de l’ignorance et de la peur, de l’impuissance aussi en ce qu’être confrontés à l’impossible nous ligote littéralement, mais si elles peuvent avoir une dimension matérielle ou physique insurmontable, elles sont, pourtant, le plus souvent le résultat ou le jouet de nos imaginations, cela revient à dire que nous sommes nos propres jouets en tant que notre liberté peut nous dépasser, que notre liberté nous dépasse de fait. Ce qu’il faut dire, c’est que nous ne sommes pas à la mesure, à la hauteur de notre liberté.

L’innommable qui s’abattit sur le peuple juif au cours de la seconde guerre mondiale, n’est pas abstrait, il ne s’est pas fait tout seul, il fallut la longue et lente agrégation des circonstances mauvaises que des Etats, des populations entières façonnèrent dans la mauvaise foi et la malveillance (le mot est faible). Du fait que c’est à des fins de génocide que ce peuple fut soumis à d’autres : à des populations réparties sur une bonne partie de l’Europe – l’antisémitisme ? presque une mode, alors – laisse supposer ce que nous savons : la faute en revient à l’Histoire considérée sous le jour de la faiblesse, celle des bourreaux, leur faiblesse morale. La force physique dont ils usèrent pour contraindre et tuer – la violence est le plus souvent un épi-phénomène de la faiblesse morale.
Le faisceau, pour ainsi dire matériel, physique, du " regard " se tend en quelque sorte " naturellement " depuis le lieu du vainqueur vers celui du vaincu, c’est à dire que l’orientation ou la direction du regard détermine la valeur autant de ce qui est regardé que de ce qui regarde ; ceci, celui-ci s’étant réservé une situation " dominante ", sur une hauteur, par la loi naturelle de la pesanteur fera tomber le poids de ses vérités sur celui qui occupe la basse situation. Il s’agit là d’un phénomène physique, et là encore " naturel ". Si ce dernier mot est employé à tours de bras, c’est à des fins de démonstration : c’est de façon " naturelle ", il faut comprendre ici " nécessaire ", que les choses sont toujours, à un moment donné, ce qu’elles sont. Si j’en passe par la métaphore d’un faisceau de regards, je le fais dans le but de donner une image concrète de ce à quoi peut ressembler non seulement une opinion mais, aussi, une pensée – et je ne mettrai ici aucune condition, aucune restriction atténuante, pas de " si ", pas de " quand ". Une opinion comme une pensée a toujours pour limites le moule d’être cette opinion – cette pensée. Dans ce dernier cas, parce que l’on pourrait croire une pensée à l’abri des idées toutes faites, des préjugés, des a priori, des facilités… bref, à l’abri de l’opinion, on en oublie que cette pensée a trouvé corps dans et par le corps même de ce qui fait La consistance : le faisceau, dans sa polarité.
Les raisons que se donne un misogyne pour être un misogyne ne sont jamais fondées, et si, une à une, il peut démontrer par toutes sortes de moyens et d’expériences fondés et irréfutables les légitimités de sa misogynie, si toutes ses raisons sont, en vérité, recevables et irréfutables, il ne faut jamais oublier que nous sommes là dans un cadre bien précis : celui des hommes qui regardent les femmes. " Les hommes regardent les femmes ". Ils n’en sont que plus des juges partiaux. Et si maintes femmes peuvent sembler corroborer, objectivement, les condamnantes vues des mâles à leur égard, cela provient toujours de ce qu’il y a du nécessaire à se conformer à ce que l’on attend de soi quand cela aura fait loi, aura fait loi pour avoir fait jurisprudence de toute éternité, objectivement. Il n’y a pas de dehors d’un tout, du moins aussi longtemps que ne se sera pas fait une fêlure. ( Ceci étant admis, il faut ajouter que nos systèmes symboliques ne sont jamais complètement étanches, ce fait – la fuite, leur est consubstantiel et fondateur). Au quotidien, les êtres qui se font face et s’affrontent, sont des femmes et des hommes : les personnalités, les détails recouvrent alors leurs droits et leur efficace, mais, encore, avec une ampleur " sous influence ". Les discours toujours plus ou moins marqués des hommes sur les femmes (les femmes ont le leur sur les hommes, mais elles ne sont pas en position dominante, et leur discours n’est bien souvent que la réaction autant soumise que revancharde ou défensive à celui du Maître) réapparaissent, pourtant toujours, sans avoir jamais cessé, parce que les moules qui les façonnent ne marquent pour reliefs que ceux que l’on est habitué à voir, et à exprimer. Les dimensions, couleurs et formes de ce que nous considérons dans le bain d’une considération routinière, passent autant inaperçues à notre regard qu’elles nous aveuglent, nous ne les voyons plus, nous ne voyons qu’elles, nous ne verrons rien d’autre. Et le misogyne fait naturellement tomber la responsabilité de la stéréotypie du discours misogyne sur la Femme (éternelle… cela va de soi) plutôt que sur la misogynie ! CQFD.
(Malgré les parallélismes que je trace, l’histoire dans son devenir du peuple juif, n’est pas superposable à celle des femmes.)
On n’en sort pas, non sans continuer à marcher à petits pas. Que la misogynie, dans nos mondes présents, recule ou ne recule pas, est affaire d’opinion et de lieu. Plus généralement, il faut comprendre que nous sommes modelé(e)s par tout ce qui a abouti à " ici et maintenant ". Et, on ne fait pas table rase. Ceux qui ont, violemment, tenté de débarrasser la table ont, tôt ou tard, toujours reçu sur la nuque le foudroyant bâton, dans son coup qui fait retour. Poco a poco, mais en rythme tout de même, un rythme soutenu. En se dégageant, surtout, d’abord de la malveillance, de la démagogie, de l’opportunisme et de l’hypocrisie. Bref, du crétinisme.
Mon but n’était pas de parler des femmes, mais de parler de tous ceux qui en sont, à divers titres, le Symptôme résiduel. (Résiduellement : la part de liberté, en tant que corrompue, des femmes est assumée, en se " déplaçant " dans sa composition grammaticale, en majorité, par des hommes quand leur déshérence est celle, paroxystique de la rue, ce lieu d’une liberté de la perte. Il n’y a pas, ici non plus, de superposition possible, seulement un reste, c’est à dire un quelque chose provenant d’un inépuisable et, en quelque sorte, " hors genre " . L’aliénation ne laisse décidément pas un grand champ d’action aux femmes… ou bien les lieux d’ébats de la folie, les hopitaux psychiatriques ? Le plus souvent la révolte passe par profits et pertes). Ce que serait l’égalité des sexes, de fait, nous ne pouvons tout simplement pas (encore) l’imaginer ; et si au moins la notion d’Egalité a quelque réalité en ce monde.

Mon but n’était pas de parler des femmes, mais de parler de tous ceux qui en sont, à divers titres, le Symptôme résiduel – après tout ce temps ! Les tenants de la misère, les miséreux misérables dont nous ne voulons pas comprendre que c’est à leur viande même que nous mordons, que nous nourrissons notre bonne conscience en toute ignominie. C’est, pour ainsi dire, mathématiquement démontrable et pour être une affaire de nombres, chiffres ou calculs de la plus pure espèce, ce n’en est pas moins une affaire de logique rigoureuse.
Soit : quand une logique drastique appliquée aux choses humaines ne ressortit jamais qu’à la Perversion.

mercredi 20 octobre 2010

EdC IV Univers-sel Rébut


Il faut avoir fait l’expérience de l’équation humaine pour comprendre les mathématiques. Cela qui aura trans-paru, cela peut s’échanger en perdant sa valence pour en gagner une autre, celle-ci que l’on pourrait, à juste titre, deviner comme l’opposée de celle-là, n’inscrit pas moins ce phénomène d’échanges ou de vases communiquants dans un monde polyphonique et contrapuntiquement polyphonique où toute binarité n’est que partitive et partielle et renvoie à une pluralité de fait, où ne se discerne la clarté qu’au prix d’une " Réduction " peu fidèle à ce que serait son acception d’" amenuisement ". Il faut chercher l’éclaircie du côté de l’Exemple par son Contre – son contre-exemple. Le dedans pour le dehors et le dehors pour le dedans, élémentairement. L’envelopppe, l’apparence qui désigne, cet " épi-derme " peut être l’armure et la carapace ou alors, et alors le " ventre mou " de l’âme.
Ainsi Montaigne assista-t-il, à l’âge de quinze ans, à la mise à mort de l’émissaire du roi, envoyé par ce dernier auprès du peuple afin d’annoncer au peuple que la gabelle serait à nouveau perçue. Un peuple, exploité et révulsé, qui enfla en furie et fut encouragé dans sa furie par la débâcle physique de l’émissaire, visible par tous les bouts d’un visage, de deux yeux, d’expressions corporelles qui suaient du sang de la peur face à la plèbe en rage. Rien n’arrêta plus la plèbe qui fit éclater un corps, un homme, un émissaire par le poing de sa colère animale enfoncé dans ce qui ne faisait plus office de façade, qui ne valait plus comme quoi que ce soit de solide en tant que " cela " s’oppose. L’homme ne sut pas mourir car il avait, dans la peur de mourir, désapprit à vivre quand cela exige une position de fait où l’on risque – où l’on accepte de jouer la vie contre la mort. Montaigne, fort de cette expérience, fut à même d’accomplir, dans l’exemplaire attitude qui fut la sienne lors de circonstances assez analogues, de longues années plus tard, le plein usage du système articulé de l’Exemple par son Contre, et ceci par l’Assomption du Symbolique. Il offrit une façade ferme et cacha sa peur autant qu’il l’avait escamotée. La vie est à ce prix de fraude. La force, ce n’est jamais ce qui est donné ou acquis, mais cela que l’on prélève et arrache de soi, et dont on sait pertinemment que ce n’en sera pas plus à jamais acquis. Cela se ramène à un " tour de force " que l’on attrape aussi aléatoirement et diffacilement qu’un " tour de reins ". La vitre de Montaigne, toute à sa fonction de miroir, montra à la plèbe non pas sa propre furie, mais l’inanité d’une furie non crainte et refusée. Le magnétisme d’une image sans bord, débordée ne joua pas, c’est à dire qu’elle joua bien pour fasciner mais non dans le sens de la désymbolisation – par la Déssomption du Symbolique – du corps de Montaigne (qui aurait été, dès lors, voué à l’équarrisage) car ce corps faisant face comme corps d’homme, d’humain, ne prêtait plus le flanc à l’orgie meurtrière. Le magnétisme avait été d’emblée désamorçé. Montaigne avait su, alors qu’adolescent, déjà voir et percevoir ce qui se jouait dans la scène du lynchage de l’émissaire royal. L’idée juste qui fit effraction à son entendement, put plus tard lui sauver la vie. Il y a fort à parier qu’elle maintint, cette idée juste, de par la fermeté que l’effroi et l’horreur avaient suscitée en lui, le corps de Montaigne dans le " paraître-juste ".Cela revient à dire aussi, d’abord, dans l’" être-juste ". Car, la droite directrice qui se tend d’une scène à une autre de même poids, en tant qu’elles se jouent, visiblement, s’ancre au centre : dans le cœur névralgique, l’Être.
En matière de mathème, cette idée juste qu’il trouva à formuler par tout ce qu’il fut (n’oublions pas qu’il fut en tant qu’il en témoigna : il écrivait), [nous ne saurions faire, ici, l’hypothèse de la scène originaire de son écriture] peut être située à la jonction du Chiffre et de la Lettre : dans l’algorithme. " L’algorythme ", démystification orthographique pour couper l’herbe sous les pieds des pédants qui m’accuseraient de pédantisme pseudo-scientifique.

La formule de l’A(d)venir est toujours une question de chance. S’il m’est permis de divaguer sur sa spécificité, je dirais, dans une expression à la seule qualité littéraire, que cette formule tourne et gravite et pivote autour de ce qui en fait l’énigme : une " constante variable ". Cela laisse présumer l’élasticité, cela laisse présumer l’évolutivité au sein de l’évolutivité. Nous nous dé-partissons ou dé-partageons dans un monde dont la dérive factuelle, physique nous dilapide aux innombrables coins d’une Dimension que nous ne savons pas qualifier.
A l’image du grain de beauté que le Narrateur ne savait plus distribuer sur le visage de son amante, (ou bien en ce qu’il " distribuait ", justement, ce qui a pour caractère son unicité), entraînant celle-ci dans lé-trangeté d’un paysage dont la contemplation, tantôt proche, tantôt lointaine, variable dans sa distance, annonce, selon moi et pour moi, le désamarrage du regard de ses repères ; à l’image de l’une quelconque des facettes réfléchissantes d’un caillou, la considération du geste de ceux qui devaient, après le microscopique d’Albertine, créer le maxiscopique du Landart, à cette image et devant toutes ces images de paysages éventuellement travaillés pas l’humain, je me pose cette question de savoir où " fixer " – ne s’agit-il pas là d’un attendu (d’un à-Temps-dû) fallacieux ? – devoir fixer ce qui fait le pivot pour chacun d’entre nous, pour toute vie, de ce qui ne bougeant pas nous arrime au mouvement.
Car si l’ordre symbolique est démontable, déconstructible et remontable, reconstructible à volonté, ne sommes-nous pas en droit de faire l’hypothèse que le seul Absolu, comme inaltérable qui désaltère, est bien cette mouche balladeuse qui affecte le visage de la Précieuse ; cette mouche amère des affinités temporelles, et temporaires. " Rien ne m’est sûr que la chose incertaine ". Le Bien (le Bon) s’avère être une convention et une contrainte formelles, aussi bien fonctionnellement nécessaire dans le respect que nous lui devons, qu’infiniment falsifiable et flexible par la remise en jeu permanente que nous lui infligeons. Quelque chose qui ne dure pas, pas vraiment et vraiment pas.

La Précieuse vous salue bien et se réservera le privilège de conclure.

mardi 19 octobre 2010

EdC III Univers-sel Rébut


Le jour où je suis devenue myope, ce jour-là, je me le rappelle, dura de longues semaines d’hésitations, et pour ainsi dire de doutes, pendant lesquelles je ne comprenais pas et ne me résolvais pas à comprendre pourquoi je n’identifiais plus les lettres tracées à la craie blanche sur le tableau noir par le professeur, la gêne était d’autant plus grande que je choisissais toujours de m’asseoir en fond de salle, au dernier rang des tables. Or, ce jour-là précisément, le professeur attaqua la relation de la " Nuit de Cristal ", acte immonde pour un nom cyniquement beau, perpétré par les nazis sur le peuple juif.
Moi, n’y tenant plus de loucher sur les notes de mon voisin – le seul garçon de l’unité des étudiant(e)s de deuxième année en faculté d’allemand – " louchage " fort maladroit dont je ne ramenais rien, et je ne m’expliquais toujours pas, et de moins en moins, pourquoi les professeurs au tableau n’appuyaient pas ou plus sur leur craie, je rassemblai tout soudain avec vivacité mes affaires autour de moi, et ainsi chargée, changeai de banc. Je m’assis dans une ruée au premier rang, le professeur un peu surpris de ce mouvement de foule à moi toute seule, assez bruyant au demeurant, me regarda d’un œil en continuant son cours qui ralentissait, puis (se) remit les deux yeux dans l’axe, le cours suivait son cours, placidement.
Quant à moi j’avais compris – que j’étais myope. Que les professeurs étaient innocents, que l’erreur de jugement provenait de moi seule et d’une inadéquation de ma vue au visible. Il me faudrait redresser le tir et m’acclimater aux lunettes, à leurs verres que, d’ailleurs, je devais choisir incassables et d’un matériau synthétique, artificiel, autre que le verre. Je n’avais pas eu, bien sûr, à en polir les lentilles. Mais lorsque pour la première fois j’en chaussai mon nez, j’eus une affectueuse pensée pour tous ceux qui par le passé les frottais et caressais en vertu d’une science optique déjà élaborée quoiqu’encore balbutiante. La justesse de la vue qu’ils rendirent à beaucoup, n’en fut que plus à leur gloire.

Les lunettes sont deux ronds de visage ramenés aux yeux. Montrant, s’il en fallait encore une preuve, que les yeux s’élargissent jusqu’au visage et que le visage se condense dans le regard. C’est à cette équation entre les deux plateaux d’une balance truquée, plateaux non strictement symétriques pour une équation aberrante, que les nazis eurent recours pour s’autoriser ( !) à briser, entre autres choses, les vitrines des magasins juifs cette nuit-là. Ils enfonçaient le poing dans un regard qui ne voyait plus : en vertu de la nuit, afin de soumettre à l’aveuglement définitif, par cette traîtrise calculée sur le dos de la contingence, soumettre ceux qui ne pourraient plus les offenser d’un regard et les rendre coupables pour leur faute prochaine. Les nazis gravissaient une marche supplémentaire dans leur ascension vers l’ignoble. Certes, le Bien s’acquiert, mais le Mal de même.
Une vitre est un miroir sans le fond qui donne à celui-ci sa profondeur de double. On peut, selon l’orientation de la lumière, se deviner dans une vitre en même temps que l’on en viole la matérialité parce qu’elle nous permet de voir en transparence, de voir l’intériorité qu’elle abrite tant bien que mal, par sa matérialité même. Elle représente toute l’énigme d’un visage qui voit et donne à voir, et ceci dans la force comme dans la faiblesse. De la fermeture la plus étanche à la défloration la plus exhaustive, dans l’échelonnement et l’échantillonnage d’une gamme complète, peuvent s’échanger les flux (de force) entre regardant-regardé et regardé-regardant. (La vitre), le visage est l’exemple qui loge en son sein le contre-exemple car c’est toujours d’un pour à un contre (et vice versa) que s’échangent les modalités de l’existence, toutefois dans la coïncidence, ou la correspondance, respectée des (de la ) catégorie(s).
Du pour au contre s’établit, ainsi, le déséquilibre d’une balance, à la faveur d’une nuit obscure où certains à l’encontre d’autres démolirent physiquement la capacité de répartie de ceux-ci, surtout dans l’esprit de ceux-là. Car ceux-là démantelaient méthodiquement, dans la fureur la plus brouillonne mais la plus instinctive, l’ordre symbolique qu’il s’agissait d’évincer au profit de l’érection d’une symbolique dont le caractère arbitraire quoiqu’affreusement logique laissait prévoir la durée très éphémère du régime inique – Mais, quand même, remarquera-t-on, l’histoire n’est que jalons d’ignominies, que celles-ci ne durent pas, n’empêche pas que les ignominies se succèdent au même titre que ce que l’on pourrait et voudrait croire légitimes de durer, ces périodes d’une relative paix et sinon justice, justesse.
Tu me regardes : je te vois autant que je me vois.
Tout mur est l’envers d’un spectre qui balaie le visible de la transparence de la vitre la plus cristalline au miroir le plus implacablement réfringent. Toute boucle s’y boucle. La surface opaque du mur ferme, de par sa nature, ce qui s’ouvre sur son revers. Prétendre se tenir d’un côté ou de l’autre de cette surface double relève de l’illusion, en ce qu’il ne nous appartient pas de désigner les moments où nous sommes et ceux où nous ne sommes pas. Nous changeons, comme nous (nous) échangeons.


Il faut en venir ici, à citer un passage d’un texte qu’il faudrait citer tout entier.
" Dialogues des Carmélites ".


-Oh ! j’ai beau être jeune, je sais bien déjà qu’heurs et malheurs ont plutôt l’air tirés au sort que logiquement répartis ! Mais, ce que nous appelons hasard, c’est peut-être la logique de Dieu ? Pensez à la mort de notre chère Mère, Sœur Blanche ! Qui aurait pu croire qu’elle aurait tant de peine à mourir, qu’elle saurait si mal mourir ! On dirait qu’au moment de la lui donner, le bon Dieu s’est trompé de mort, comme au vestiaire on vous donne un habit pour un autre. Oui, ça devait être la mort d’une autre, une mort pas à la mesure de notre Prieure, une mort trop petite pour elle, elle ne pouvait seulement pas réussir à enfiler les manches…
-La mort d’une autre, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, Sœur Constance ?
-Ça veut dire que cette autre, lorsque viendra l’heure de la mort, s’étonnera d’y entrer si facilement, et de s’y sentir si confortable… Peut-être même qu’elle en tirera gloire : " Voyez comme je suis à l’aise là-dedans, comme ce vêtement fait de beaux plis… "
-...Silence...
On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait ?
-...Silence...

lundi 18 octobre 2010

EdC II Reculer pour mieux sauter


La présence d’un arbre, face à la fenêtre ouverte, sature ma vue. Je suis la proie de son tapis d’air illuminé et irradiant qui me darde de ses orifices combles, de ses puits d’un vert puissant, tournants dont les lentes vis agitées, régressives m’aspirent dans l’en-deça. C’est par ses fermetures de passoire inverse que sa cloche en ramure au vent balance par paquets des souvenirs dans leur fuite, dans un évincement que je n’ai jamais encore réussi à retenir. Je me souviens de tout pourvu que l’on m’accorde le bénéfice du doute : le gain est parfait au jeu des dés en creux.
La seule liberté est-elle de se faire une idée juste ? Si la liberté est dans l’erreur possible : dans l’errement inhérent à toute quête avant que ne soit redressé le chemin jusqu’à son faîte ; doit-on alors concéder que la liberté se conjugue sur le temps de l’incertitude mais que pourtant elle est, à tout instant, car, à défaut de la découverte de l’idée juste dans son énonciation sommitale, l’idée juste est là déjà : dans la nature de la pente, du cheminement, du questionement soulevé qu’induit l’instinct ou l’intuition de cette idée dans la résolution de sa question ? La liberté est-elle une forme – une forme d’une sorte de goût ? de la juste pesée ou appréciation anticipatrice ?
Peut-on faire l’économie du concept, dans son mot cité, de vérité ? Vérité qui suppose un discours immémorial de la pensée – depuis toujours.
Est-il donc impossible d’être modeste en postulant la liberté comme " idée juste " simplement ? puisqu’ainsi, alors, elle répondrait à une sorte d’aristocratie arbitraire et innée : celle du goût. Quelle vanité. (Cela reviendrait à déplacer le problème, vers la notion de goût).
Pourtant, l’idée juste n’est-elle pas seulement (en ce qu’elle correspond) la cohérence, la logique ( ?) du requérant (celui qui s’ouvre à une/la question) avec soi-même ? Une petite liberté. Une liberté en guirlande d’à-coups ; des idées juste(s) libératoires ; une frise de pleines illusions ; une suite d’erreurs dont la seule vertu est de s’inscrire, en dépit de toutes les discontinuités, dans la continuité apparente et indéfiniment remise en jeu de nos existences. Une liberté remise à la libre appréciation des êtres humains qui, généralement, se caractérisent sur le fond par leur plainte au sujet de tout, et de rien.
Et – ce n’est que justice – la justesse de nos " idées justes " repose entièrement sur l’assentiment qu’elles trouvent auprès de chacun de nous, en tant que nous les trouvons/jugeons justes justement. L’épreuve de réalité, ensuite, la confrontation éventuellement contradictoire, reste peu de chose. (Nous nous autorisons à être persuadés de ce qui nous con-vient ; l’incohérence n’est pas incohérente car nous nous en accommodons, fallacieusement. Par manque d’acuité ou d’honnêteté. Le principe de l’idée juste comme liberté n’est pas remis en question. Car, que pourrait bien représenter une " liberté objective " ? sinon une absurdité. Une idée comme fausse ? Que serait-ce ? Chacun, pour soi, se tient pour dépositaire du (bon) goût ; du moins de ce goût qui juge et apprécie, depuis le mitant de notre personne opportunément à l’équilibre. Quelle Folie serait d’en douter ? Que serait une subjectivité, pour soi, non objective ? Une subjectivité non-vraie d’être subjectivité ?) " Vérité " ; ce mot est à lui seul une tautologie. Et de cette " tautologie " on peut faire une définition à la Vérité, une définition exclusive qui court-circuite toutes les autres. Par la forme.
Dormir pendant tout le temps que dure l’accident mortel ; ne pas se réveiller, ne plus se réveiller. Être passé de vie à trépas par la porte étroite. A quand aura remonté la mort ? La présence d’un arbre sature ma vie. Ça tourne, ma vie.

dimanche 17 octobre 2010

EdC I Caractérisation de l'oeuf de C.C.


La merde, c’est le temps fait matière. Les songeurs creux, ces rêveurs d’horizons que sont les âmes pauvres, dont les rêves résonnent de vacuité parce que leur imagination fut coupée et qu’au cours de leurs marches insatiables parfumées de leurs crasses, ils ne voient pour tout songe que le vide reproduit à l’échelle d’un vide immense, seulement habité des déchets de la société, les armes pauvres de nos mondes, démâtées du danger de nuire à toute intention, à la volonté, sont les rêveurs impénitents qui montrent l’inanité des rêves. Pour rêver beau il faut être riche. Pour rêver riche il faut être revenu, revenu du monde où se répercutent les vides, de mur en mur, de surdité en surdité, de folie à folie. Les vrais rêveurs ne rêvent pas, ils creusent ce vide que déjà, tout entiers, ils sont, maniant la pelle de l’épaisseur, dénués de toute subtilité, ils remuent la glaise moche qui façonne nos mondes, ils pèlent et dépècent, mettent à vif ce qui fait l’envers, ce qui fait la consistance, la vérité ou la profondeur de nos mondes, c’est à dire la bêtise de nos mondes. Ce fut encore récemment moins Dieu que la crédulité et la superstition, la peur ; c’est, aujourd’hui, toujours la peur et ce le sera toujours mais aussi la célébrité par le quart d’heure, l’" effet-peuple " (autrement dénommé le " devenir-monde de la peopolisation ", le devenir-people du monde). Mais ceci n’est qu’un détail au sein d’une soupe qui de siècle en siècle, jusqu’au siècle présent qui nous semble faussement plus superficiel que les précédents, affiche des représentations de soi, des représentations de la société où elle se saoule, la société, de l’évitement et de l’évidement de penser, même si toujours il y eut des penseurs ; et il y en aura plus ou moins toujours, de ce fait que penser relève d’une nécessité personnelle intime, de la Contradiction pure, le génie décroira et décroîtra, dit l’Autre, en démocratie, il se fera plus " rare ", mais pourquoi ne pas entendre dans ce dernier mot ce qu’est le jus pour le parfum : l’essence. L’essence n’en deviendra que plus capiteuse et plus captieuse.
Nos rêveurs d’horizon, ces clochards qui pas même ne mendient, ils n’ont pas le temps, marchent et baillent comme on bée bouche démesurément ouverte, à la lune, ils se nourrissent aux poubelles, aux déchets, ils puent, sont de déambulantes immondices, des repoussoirs humains, ils se drapent de nos mépris à leur endroit – à leur envers, ils se méprisent profondément, ils ne souhaitent que vivre et ne font que rêver des rêves qui sont les révélateurs de nos propres néants, de nos propres rêves un peu mieux habillés par nous, de nos rêves vêtus de masques illusoires, nos illusions, minables. Nos rêveurs de songes creux développent l’essence de chaque monde par la lie de son jus, le parfum dont ils sont embaumés, celui de la pauvreté radicale, celui de la crasse et du mépris, celui de la Merde dans toute sa vérité splendide ; ce parfum est la " Façon de penser " par son revers, la négation. Ils ne pensent pas, ils dé-pensent. Ils n’ont pas pour deux sous de richesses, l’objet de leur dé-pense consiste juste (précisément) dans le geste de la dépense de qui a tout perdu, il ne leur reste qu’à perdre, non pas la vie, la vie n’est pas grand-chose, mais l’honneur. Ils sont le Beau du monde parce que le Vide gonflé à la taille d’un monde. Une " Baudruche " dont ils ont pour tâche de veiller à ce qu’elle ne se dégonfle pas, de leur souffle ils l’entretiennent, vestales des temps modernes, base et terreau qui assure par la négation, son Illusion à notre monde comme Monde. Ils sont nécessaires – parce que la plaie est nécessaire au sang.

J’ai vu l’un d’eux, vêtu des croûtes de la crasse jusqu’à la noirceur profonde, assis sur l’orifice d’une poubelle de rue, feuilleter avide la feuille de chou d’un magazine à scandales : il mangeait l’aliment de sa marche qui infatigablement le transportera dans ce qui fait son vivre, le Rêver, et ce jusqu’à ce qu’il tombe. Il sera mort, déjà il l’était parce que le noyau sec a la vie tournée en dedans. La germination, c’est pour plus tard, c’est nous, " gens bien ", qui l’effectuons : nous la prélevons à la coque de la graine, à la croûte du merdeux, nous sommes la négation de la négation. Soit : l’affirmation dans tout son mensonge.

samedi 16 octobre 2010

Etats de Crasse - Ouverture



Etats de Crasse
Ouverture en majeur sur Sainte-Thérèse en extase du Bernin.

dimanche 23 mai 2010

Beautés de toute Fin

Beautés du retrait de la Nature s'inachève sur cette Prise de vue de B. et H. Becher.
A l'image de cet inachèvement se joint la Vie en rosse qui termine ici et tire un trait en forme de coup de feu ultime.
Désirée Cambremur - signe et persévère.

jeudi 20 mai 2010

Beautés du retrait... VIII


Je broyais du noir et je buvais du rouge, ne réussissant pas à trouver de la question : " Y a-t-il un jour d’avoir commencé ? ", la réponse. Car un moteur, vraiment, ne démarre pas à soudain vrombir, éventuellement parce que l’on aura enclenché une manette, mais il démarre du jour où son premier piston fut posé – et ceci encore, si l’on emprunte le raccourci nécessaire de considérer que celui-ci fut posé du jour où l’on commença à le penser. En un mot comme en sans : l’Histoire peut-elle se permettre de n’avoir pas commencé par son commencement ? Certes non. Et pourtant oui. Toute limite, serait-elle antérieure et parce qu’elle est antérieure – dans la mesure où elle est censée marquer un commencement – commence par le mouvement de se dégager d’elle-même, en quelque sorte par un effort sur soi qui présupposerait un soi mais seulement parce que, finalement, ce soi est engagé dans son (propre) dégagement.
La question induit sa réponse : celle-ci paraît précèder celle-là mais elle ne trouve, pourtant, sa validité, sa réalité comme telle que de se voir introduite par la question. Pirouette logomachique ou serpent se mordant une queue que rien ne distingue de la gueule ? A la fois tout et rien ?

Cette ouate vive, ce tissu d’un volume en quatre dimensions, cette volupté propagée selon les cinq directions des sens, et ces six versions d’une fable qui engendra, dans le cours de sa roue tactile, les sept degrés de l’extase, jusqu’à la huitième note de la gamme que mes dix doigts jouaient du dos de leur pulpe sur l’ongle, neuf, dont l’angle poli me caressait le cou. C’est ma vie, inchoative toujours quand d’un geste autoproclamé, elle n’en finit pas.
Je n’ai pas commencé, je suis tombée, par hasard, sur une pierre qui m’entailla la mémoire et y développa l’infection d’être affectée par la quête d’une source où boire le commencement. Comprenant, à mon péremptoire débit de salive qui suintait de mes commissures, que je recelais la source où boire, je m’enfermai en cercle dans la rotondité d’un corps. Je n’en puis sortir que par un second hasard : une fuite d’eau ayant englouti le voisin, je dus remédier par des travaux intellectuels à cet accident disproportionné. C’est ainsi que j’en vins à faire la connaissance de mon voisin dont, à ce jour, j’ignore toujours la provenance, sa traçabilité de chair n’est pas inscrite dans les registres de ma paume, je connais ma ligne de vie, elle ne m’a jamais avertie d’une issue dans ma propre discontinuité. Elle ne pouvait pas révéler ce qui, dans l’ordre de l’histoire, relève d’un silence : d’un mutisme.

L’être libre se définit par une souple et rodée articulation, des joints des chevilles à ceux des oreilles, et remontant du plus bas au plus haut, tout en lui fonctionne dans un But, à une Fin qui lui échoit de par une sorte de choix inhérent à lui-même, et qu’il atteint et rejoint par la coordination de ses gestes à l’intérieur du volume d’une poche qui est sa vie propre, où se développent de par ses propres mouvements dans leurs efforts désirants, ses intentions, donc, en tant qu’elles se concrétisent. Mais en même temps, il faut " faire avec ", avec tout ce qui incombe à autre que soi, à tout Autre, et aux hasards. Et cet extrinsèque n’est pas illusoire, il n’est pas tant sournoisement contenu dans le monde (la poche) de chacun où chacun " fait vie ", où chacun témoigne d’une existence dans un vivre, mais cet extrinsèque inter-vient, depuis un ailleurs, en nous, en notre sein, par l’" opération de commencer " – et jamais ne se ramène à quoi que ce soit de différent que " commencer ". Puisqu’il nous revient, il revient à chacun d’entre nous d’achever : nous récupérons dans l’orbe de nous-mêmes – de soi-même, cette écharde dardée depuis un rosier dont la Beauté séduit. A prétendre qu’il puisse " exister " – et ceci par refus du solipsisme, un rosier hors de notre propre jardin, nous l’induisons au sens où nous le portons à croître sur le terreau d’une idée dont nous croyons qu’il/elle est partout : le Possible. Nous croyons objectivement soutirer à notre imagination le possible dont nous savons pertinemment qu’il est un possible et qu’il n’est que cela, comme par un mouvement mental qui assoierait en toute impunité notre Soi dans un monde qui, pour relever de soi, de chacun d’entre nous en propre, " montrerait " un bord. Ce bord de soi visité par chacun depuis l’intérieur, projetterait soi : le bord, comme le décor appétissant de vies et de détails où fourmilleraient les ailleurs du possible. Nous possèderions intrinsèquement un monde-autre : il serait gravé dans ses reliefs mêmes à même la conque qui n’existe que par l’intérieur et qui seule existe, contenant l’univers avec les univers. Car imaginer d’autres ballons que soi à voguer dans ou hors (de) l’espace-temps et ceux-ci sous la forme de possibles comme autres, peut aussi bien être, dans une logique plus juste, ramené à une auto-projection sur l’écran de notre propre fermeture.
Pourtant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Si ailleurs il y a, et il y a " ailleurs " – ou " autre ", il ne faut pas chercher à définir cet ailleurs par ce que ce mot dans sa nature, dans sa définition suppose : à savoir la notion de lieu, de lieu dans un espace-temps (ne serait-il, celui-ci, que probable). Ailleurs il y a parce que quelque chose commence et indéfiniment re-commence dans une appétance. Le désir qui entraîne chacun à l’intérieur de chacun à faire preuve de soi comme développement pour soi, ce désir est proprement cela qui commence et, à ce titre, peut trouver son nom dans le mot " Ailleurs ". Il n’est pas forcément situé, situé hors de nous, ou en nous, et encore moins à nos marges, à nos marches, mais il corrobore son nom, sa dénomination d’Ailleurs parce que rien ne nous autorise à situer le désir, c’est à dire le commencement, à le situer comme relevant de soi. Chacun peut donner son accord "à " vivre, il ne le peut que par la persistance, même passive, à continuer de vivre, il ne tiendra pas des fibres de son corps en tant qu’il est cette volonté de vivre avec son désir de vivre, il ne tiendra ni de ses muscles ni de sa respiration de s’être assemblé en un corps. Chacun dans et avec son corps relève d’un donné, appelons-le " Ailleurs " puisqu’il est la chose la seule qu’il ne nous soit pas possible de penser.
Il faut penser soi en tant que les parois s’en dissolvent, il faut penser soi non comme ramassement sur soi, ce ramassement serait-il dilaté à l’infini d’un univers qui n’en finirait pas de résorber en soi des limites censées se propager indéfiniment. La qualité éparse, dilapidée et ponctuelle de soi, ne présente dans son détail aucune forme. Nous sommes des fragments dont le tout, la totalité est " assurée " (cela est supposé nous " rassurer ") par une " tenue " qui ne tient qu’à nous, et qui d’ailleurs ne tient, de fait, pas. La seule illusion recevable est seulement de soi comme soi, nous con-sistons en une articulation par les rouages, en un jeu d’articulations dont les points comme brisures saignent du jus de vivre. Représentées sur la surface d’un arbre, nos vies individuelles scintillent dans les différents nœuds des branchages, où chaque branche se subdivise en branches sans qu’il y ait là rapport d’un à plusieurs, de créateur à créature, de générique à généré, de cause à conséquence. Chaque nœud procède d’un autre qui n’est pas pour autant sa cause, nous sommes recueillis à l’état de scintillements dans la coupe de plusieurs nœuds dispersés, dans une coupe et plusieurs et dans chacune ignorons y être seuls ou dans la multitude, et c’est égal ; chaque nœud représente chaque soi à la mesure d’une effectuation partielle qui se regroupe pour faire corps, tant bien que mal, aléatoirement d’un nœud à l’autre, et le commencement d’être appelé à constituer un soi ne dépend que d’une continuation. Cela s’appelle " re-commencer ". Commencer, cet " autre ", cet Ailleurs, ne constitue ni un possible ni un probable, il relève d’une éventualité, d’une supposition dûment formulée dont, toutefois, le mot manque – faute de lettres en quoi l’écrire. Mais ce n’est pas l’en-vie qui nous manque.

mercredi 19 mai 2010

Beautés du retrait... VII


" Car cependant que je suis attentif, ô Marquise exquise, à marquer du pas de vos pieds le rythme de ma cadence qui engloutit sans frein, de vos reins l’avalanche en biscuits, Charlotte mignonne ramène une fraise que je décapite du bout de ma langue aiguisée de ses deux dents comminatoires, ou encore " crocs ". Je mange bien, d’autant de douceurs que de circonstances je me nourris, ne pensant pas à mal mais surtout à bien quand vous m’offrez de vos tétons la pointe embastillée de vanilles ".
Qu’en termes galants, ces choses-là sont dites. Je ne m’offusquerai pas d’un travers pratiqué à l’oblique, dans les obscurités torves des chambres contrefaites, lorsqu’à la nuit tombée, se réveille le chat gris. Je ne miaule pas plus d’un feulement étranglé vers un matou dont la panse bombée ressemble à un aspirateur : car, lui, ne ressemble plus à rien, sinon à l’outre dépositaire du deuil de sa queue. Mais je pense à ajouter au moteur de mes charmes, le tigre du bengale qui rugira d’aise à se voir dessaisi de sa trompe nuptiale. Il est peu de chimère semblable à mon amant, composé de tant de pièces rapportées qu’il semble, dès l’abordage que l’on fait de lui, impossible de décider s’il tient de l’arrosoir ou du cervidé, des enluminures d’un incunable ou des illuminations giratoires d’un gratte-papiers.
Tout ce galimatias amphigourique se résume en peu de mots, revient à peur de choses. Mais il faut flatter par là où l’on pêche, la prise n’en sera que plus servile, baladée d’arbre en arbre où se prend le fil de la canne lorsqu’elle a-grippé son pactole : la truite d’air. A ma truie contractuelle et péripatéticienne je souhaite la journée bonne surtout parce qu’il s’agit de rêver par quand, là, d’autres vivent. " Dors bien, donc ". Et ramène de ton voyage un sac de choses virtuelles qui pendront la malignité du Mal au clou de tes digitales. Cris donc. Une histoire point tant belle que conjuratoire.
Car, voici comment l’esprit vient aux " Filles " (je suis une " Fille-Limite " à la Lettre prés-prête-pépette-coquette et, comme tant d’autres, croquignolesque leste). Cocasse et putassière si l’on préfère, mais ordurière avec les façons de la Beauté. J’enjambe les amalgames et, fossoyeuse de malentendus, j’érige un tertre mortuaire, un oppidum à la turpitude des hommes où je plante la carie-pomme de ma dent verte ; drap de peau, peau de verre et Paix pour tous. Bon soir.

lundi 17 mai 2010

Beautés du retrait... VI


Il est légitime que nous nous interrogions sur le devenir de notre perception, de notre sensation, de notre idée (plus ou moins insue) du Hasard quand nous subissons, en ville, l’œil observateur qui nous piste dans nos moindres faits et gestes, des caméras de vidéosurveillance. Alors que l’on pourrait attribuer à la Ville, avec ses dédales de rues vouées à l’imprévu, la métaphore du Hasard moderne sous les auspices, sous le Possible, sous le Chiffre de la Rencontre.
Quel pourrissement faisons-nous subir au Hasard ?
Car, enfin, le Hasard n’est-il pas atteint alors, dans son être, par une détérioration de la grâce ou de l’innocence ? A se savoir marqué, à tout instant, par l’im-médiateté d’une omniscience qui, peu ou prou, fonctionne comme un censeur, celle de la caméra, et ce de par son simple être-là, l’individu ne sent-il pas que le temps marque le pas ? Ne sent-il pas que cette éventualité anecdotique mais de l’ordre du possible, d’un possible qui fait date et qui est dénué de toute véritable pertinence de " Hasard ", cette éventualité non seulement d’être vu mais aussi de se voir, à l’occasion de se re-voir, dans son cheminement en ville, que cette éventualité est, en quelque sorte, meurtrière. L’on tue, ici, le Hasard. Parce qu’à supposer que le Hasard qui peut, à tout instant, faire effraction dans notre devenir (dans notre " devoir-être ") qui suit son cours, soit dans cet instant-là, vu, constaté, décrit via l’œil de la caméra, alors ne consumons-nous pas l’espace et le temps consécutifs au Hasard et qui le constituent et le construisent aussi bien dans sa brèche temporelle instantanée ? Le Hasard nécessite la Liberté dans son sens de licence. Et le fait que, anecdotiquement, à l’occasion, quiconque pourrait et que nous, nous pourrions passer en revue l’un de nos propres instants de Hasard en ce qu’il fait effraction, en ce qu’il lance les dés qu’il vient de stopper dans leur course, cela se profile à notre conscience et/ou à notre inconscience, comme ce mal, délétère dans sa substance, qui littéralement " inverse " dans son sens et sa définition le concept de Hasard, le met cul par dessus tête. Être observé, sans ou avec la perspective que c’est soi qui est rendu à sa propre observation (– pour ceci spécifiquement dans un après-coup relatif et impropre à un Hasard qui refuse, lui, de s’inscrire dans une logique policière, cette " police " même qui pose de l’extérieur un continuum, même poreux mais théorique, mais sûrement factice et étouffant, annihilant sur le devenir du devoir-être), façonne l’esprit de chacun de nous dans le sens qu’en permanence il y a " auto-limitation de la Limite ". Ce " il y a " nous tombe sur la nuque de l’entendement et de la Liberté comme un couperet.
La vidéosurveillance constitue l’atteinte attentatoire au caractère symbolique du beau Hasard.
Si l’on se place dans l’optique du texte de Kleist : " Sur le théâtre de marionnettes ", la perte de l’innocence dans le sens de la perte de la grâce, relève pour nous, ici et maintenant, d’un phénomène beaucoup plus pervers : insidieux, fourbe et abondant vers une malignité.
Ne sommes-nous pas alors tentés par une forme " autarcique " du Hasard ? Ne risquons-nous pas d’entretenir, à titre d’ultime domaine privé, une folie, c’est à dire un jardin secret en forme de dérive et de délire (du moins pour les plus lucides d’entre nous) ? Le seul lieu, mental, comme espace et temps, de l’anonymat et de l’anodin en tant qu’ils sont l’attente et la tentation constantes d’un éclair de l’aléatoire, du hasard dans son secret même. Une forme d’utopie " quasi-paradoxale " (– quoique).
Passer invisible, passer comme visage dévoilé et ouvert à la re-connaissance et pourtant traqué, soumis à l’épreuve dans sa possibilité d’un marquage enregistré et donc capté et enfoncé dans la matérialité d’une mémoire dédiée au contrôle, à la certitude, destinée à graver dans le temps solide de l’espionnage, ce qui devrait naturellement être voué à l’évanescence. Cette vertu plurielle de l’abandon, de l’oubli, de l’insignifiance, du passage est consubstantielle au Hasard quand il détermine notre Liberté.
De cette main-mise du dehors sur le dedans, nous ne ressortirons pas " plus humains ".
Au mieux nous pouvons " ignorer " les caméras mais c’est sans compter avec une conscience de la chose (et moins l’être sera lucide et plus il en enterrera le savoir dans les couches profondes de soi, ce qui ne prête pas moins à conséquence) qui ne manquera pas de s’insinuer en nous comme le ver dans le fruit.
Faire comme si, est-ce là un nouveau paradigme pour la Liberté ?