Du miroir au miroir
Bien qu’ayant dûment apposé son paraphe au bas du Serment d’Hippocrate, le médecin ne s’autorise pas du devoir implicite d’arborer un supplément d’humanité, les médecins sont à l’image de la moyenne de l’humanité : médiocres. Les longues années d’études élaborées, les concours difficiles ne retranchent ni n’ajoutent quoi que ce soit à l’affaire, si ce n’est, sans doute, de se croire plus que quiconque obligés à la mauvaise humeur. Les médecins s’avèrent être, pour la plupart, humains dans le sens de la banalité, de l’inadéquation de l’humanité à l’humanité, ils abondent dans le manque de finesse psychologique et l’arrogance. Ce sont pour beaucoup des balourds, et pour beaucoup des brutaux ; être un " bon " médecin n’engage qu’à l’acuité du diagnostic et au bon remède préconisé. Ils annoncent la mort avec toute la morgue de qui est au fait du procés physiologique, avec l’indifférence lasse des blasés, avec la cruciale nécessité de se protéger soi-même de comprendre : il ne faut pas, il vaut mieux ne pas comprendre ce à quoi chacun assiste là ; mais avec timidité aussi. Il ne faut donc pas leur en tenir rigueur mais il faut voir en eux pas plus que ce que peut l’homme. Un médecin peut être humain, c’est dans l’ordre des choses, il le sera à l’échelle, dans la mesure de la quantité d’êtres " humains " parmi les humains. Dans cette acception-là, je puis dire qu’il y a, par ailleurs, des bêtes très " humaines ". Mon chien est un chien très humain. Mais cela supposerait de facto une supériorité originelle de la qualité dite " humaine " sur l’animale – lorsque l’on considère le concept sous son jour avantageux, bénéfique. Il convient, donc, de dénicher un autre terme – Et nous allons nous y employer. Il s’agirait d’un mot adéquat à la notion de bonté.
Et sans doute n’y aurait-il pas meilleur autre terme qu’un terme tenant compte dans sa physionomie d’une nature inséparable de toute idée d’altérité. L’autre " terme ", le terme adjacent, le terme nouveau contiendra, en corps et en âme, en forme et fond, en lettres et leurs sens, ce qui fait, dans l’ordre chronologique, historique, le chiffre de son apparition dans sa nécessité ; l’adjectif qui aura qualifié le mot quasi-abstrait de terme, soit " autre ", se coulera dans le mot nouveau comme le bronze se coule au moule. Rien ne lui pré-existe, si ce n’est que ce qui lui est donné dans l’instant, fait sa condition d’être, et donc, d’avoir été. Il n’existait pas. Il n’existera sans doute pas. Mais il aura fait l’objet d’une conjecture. Ce mot contiendra " autre " autant pour ce que cet adjectif signifie que par son adjonction temporellement datée. Et cela ne renvoie pas à " maintenant ", moment de rédaction de ce texte, cela ne renvoie pas à un glorieux présent – nul ne contreviendra à l’idée que notre époque ne permet pas de dater, ici, une humanité " humaine " dans son avénement ! Nous désirons par cette désignation d’un [ autre terme ] " nouveau " dès aujourd’hui, montrer la durée par quoi est incompressible toute vie humaine du moment qu’elle aura été.
Pensons bien, comprenons bien que la durée qui s’étire et dure maintenant, alors que je lis ce texte en l’écrivant, est aussi celle de mes contemporains, que cette durée qui maintient ouverte la largeur de l’air fragile entre deux murs de béton incoercibles et coercitifs, ne se ferme pas. C’est le temps de la vie qui aura été, qui est celui-là même de l’homme préhistorique. Nous " connaissons " un temps de vie qui renvoie, dans une façon eidétique, à une durée, et dont nul vivant, mort ou à naître, n’est en mesure de donner la " définition ". Au sens où nul, aucun d’entre nous ne peut décider – et malgré l’évidence, l’entendement commun et le bon sens – si la mort referme cette durée au sens où elle la " compresserait " quand cela renverrait à rien les innombrables vies, les innombrables durées qui se sont maintenues durant leur temps d’ouverture. Comment se maintiendraient-elles donc ? Autrement dit : " où " se maintiennent-elles ? ceci n’est pas une profession de foi dans le surnaturel, bien au contraire ; mais renvoie à l’idée, paradoxalement, que, de ce qu’une durée a été, dans l’imagination a pour conséquence d’ouvrir toutes les brèches. Le flot étant lâché, de ce flux irrépressible on concluera que si tout relève du réel ( le réel est le seul " objet " de la Pensée), personne n’est autorisé à penser qu’il puisse en " y avoir ", qu’il en existe un dehors ; nul n’est autorisé à penser au fait d’un dehors du tout.
La " durée bonne " est celle du nombre en tant qu’il fait individu. Un miroir regarde un autre miroir dans toute l’inaliénabilité de leur être-là. Certes, mais – il n’y a que cela. Ce montage. Tout ce qui passe en fait de détails colorés dans/entre les miroirs renvoyés les uns aux autres, organise chaque durée pour ce qu’elle est : un courant d’air solide que l’on peut, accessoirement, qualifier de " visible ", autrement dit, d’accessible aux sens puisque c’est là la condition qu’il y ait un sens à tout et à rien – tout ce que j’écris, du fait que j’écrive (nous sommes ainsi ici précisément, dans ce texte qui s’écrit, phénoménologiquement, dans une métonymie). Tout ce qui se renvoie du miroir à l’autre, réflexion créant cela dont elle est l’objet à l’infini, provoque le phénomène de résonance qui atteste de par sa profondeur dans les reflets renvoyés à l’infini, qui atteste de ce que la durée persiste perpendiculairement à son effectuation éphémère dans le plan " plat " (c’est ici un pléonasme et un abus de langage destinés à susciter la compréhension, il n’y a, de fait rien de plan, de plat au monde) de nos vies. La durée se maintient par ce qu’elle montre : des détails qui, par nécessité, l’enjolivent ou, pourrait-on dire, " lui prêtent vie ". Ces détails, substantiellement, sans aucune connotation morale, constituent des Fraudes. Des " fraudes " puisque par leur caractère intrinsèque de " leurre ", nous bâtissons, nous humains, en les archivant selon des architectures complexes, des théories qui nous sont la vie même, c’est à dire la Réalité, la " Réalité-pour un oubli du Réel ". Cela passe, cela naît puis meurt. Flux de larcins. Flux de Larsen.
Le reflet crée la chose en tant qu’elle n’est que cela, un reflet qui s’origine dans un devoir-être préalable à tout devenir, et devenir où s’échelonne une histoire, une Chronologie dont rien, à ce jour, ne prouve le caractère de nécessité dans l’effectuation graduelle, linéaire de la vie ou de la réalité – ce qu’il ne faut surtout pas assimiler, de notre part, à une négation du Temps. Le Temps est la sève du Réel, il lui prête ce qui le remplit ; et la plante perdrait toute consistance à être vidée, cette tautologie voudrait démontrer que Temps et Réel sont à l’évidence l’un de l’autre. L’un et l’autre par l’un par l’autre.
La seule nécessité du devenir est son déroulement apparent que l’on peut raisonnablement, spontanément dire linéaire et dépendre du temps. Quant au devoir-être des choses (comme des êtres) il aura été fixé par une agrégation endogène à la chose, relatée sur son bord, comme on le fait d’un conte, mais pas plus, par le calcul des statistiques et autres probabilités. Une histoire intime affleure au présent et/ou à l’événement par un résultat mathématique, sous cet angle de vue, la chose considérée aura " été sautée ", l’on aura sauté d’un dedans à un dehors sans qu’il y ait réel passage, ou plutôt, sans que nous soyons à même d’analyser la Nature de ce passage. Cette incapacité décrit le scepticisme actuel, contemporain. Décrit un doute qui verse, par réaction, dans la religiosité bétonnée. Si le devenir de la chose s’ordonne dans le temps, le Réel, lui, est consubstantiel au devoir-être d’une chose, et cela signifie, entre autres, que la chose dans sa nécessité endogène s’arme, au sens où le fait le béton, d’une charpente qui, entière, la détermine et qui se trouve être le Temps ou ce que nous sommes capables d’en penser.
Nécessité inhérente, intrinsèque à la chose dont témoigne le temps lorsqu’il développe la chose dans sa chance, Nécessité du devoir-être, d’un devoir-être seulement habité du Temps, et Temps qui trouvera, à s’épancher dans un devenir chatoyant, par le temps, une Réalité dont la Chose est la garante, en tant qu’elle existe. Où, à ce stade du raisonnement, placer, introduire le dehors nécessaire du monde comme lui étant compatible, com-préhensible ? si ce n’est par le travers, l’oblicité des lois de probabilités dans ce qu’elles ont de comptable, du relevé du monde par le chiffre. Autrement dit : comment retourner la sphère de l’extérieur vers l’intérieur, étant bien entendu qu’il demeurera, comme un reste inépuisable, un fossé au sein même de la juxtaposition à faire de la double, inhérente et réalisée Nécessité de la Chose et la Loi puisque celle-ci dénote une existence (celle de la Chose) à la solde de son témoignage (exogène) de chose, à la solde d’une trace, celle de toute chose quand elle a été, est et sera, et tout ceci de par-, au nom d’-, un résultat. Ce résultat est " calibré ", cela le définit dans son essence. Il ne faudrait pas croire que l’on tente ici de réduire deux dimensions hétérogènes l’une à l’autre à un " domaine " de sens (le mot est à prendre comme étendue dans l’espace, il témoignerait d’une flaque où trempent dans un bain commun, Loi(s) des choses dans leur événementialité et " Être " de la Chose comme ce qui assume de la Chose sa Nécessité endogène voire intime).
Là où le bât blesse et parce que (là) il blesse, il faut ouvrir : tenir pour effectif, ce " domaine " dans son étendue (quand bien même, là encore, il n’est fait allusion à aucune " plateté "), et peut-être, donc, serait-il plus pertinent de parler d’un volume (mais ce mot, encore, est restrictif et inexact, pour ne pas dire inapproprié), un domaine conceptuel dans son volume mais dans lequel, là est la clé, il ne faudra pas manquer de voir, de trouver le concept, d’inoculer le concept d’" Appui ", cette sorte d’étayage. Dire que l’une est le revers de l’autre et que de par le fait de leur opposition nécessaire (pour ainsi dire à leur équilibre) de fait, physique, elles ne peuvent pas se " connaître ", ni se rencontrer, renverrait dos à dos : Nécessité endogène couplée à son effectuation de fait, et Loi. Il y a, dans cette histoire qui dure et que nous tentons de raconter, un " incompressible ". Mais au-delà ou en deça ( ?), de cette irréductibilité, demeure un " domaine volumique ", un Lieu où. Un Lieu de la spéculation. Nous entendons bien que ce mot n’explique rien. Mais si l’on incorpore à ce lieu abstrait, spéculatif et issu, " concrètement " (dans son apparition comme concept) de l’Imaginaire, si l’on incorpore ce qui s’y trouve depuis toujours, à savoir un Mot, il " suffira " alors à ce " Mot " de contenir ce qui le contient ; soit ce domaine volumique, ce Lieu en tant qu’il fait lieu – ce Lieu qui fait réponse lorsque l’on pose la question impossible du " Où suis-je ? " pour un corps qui peut être là où il n’est pas.
Le mot / la mort
The word / the world
Das Wort : die Wörter / die Worte
… etc …