dimanche 23 mai 2010

Beautés de toute Fin

Beautés du retrait de la Nature s'inachève sur cette Prise de vue de B. et H. Becher.
A l'image de cet inachèvement se joint la Vie en rosse qui termine ici et tire un trait en forme de coup de feu ultime.
Désirée Cambremur - signe et persévère.

jeudi 20 mai 2010

Beautés du retrait... VIII


Je broyais du noir et je buvais du rouge, ne réussissant pas à trouver de la question : " Y a-t-il un jour d’avoir commencé ? ", la réponse. Car un moteur, vraiment, ne démarre pas à soudain vrombir, éventuellement parce que l’on aura enclenché une manette, mais il démarre du jour où son premier piston fut posé – et ceci encore, si l’on emprunte le raccourci nécessaire de considérer que celui-ci fut posé du jour où l’on commença à le penser. En un mot comme en sans : l’Histoire peut-elle se permettre de n’avoir pas commencé par son commencement ? Certes non. Et pourtant oui. Toute limite, serait-elle antérieure et parce qu’elle est antérieure – dans la mesure où elle est censée marquer un commencement – commence par le mouvement de se dégager d’elle-même, en quelque sorte par un effort sur soi qui présupposerait un soi mais seulement parce que, finalement, ce soi est engagé dans son (propre) dégagement.
La question induit sa réponse : celle-ci paraît précèder celle-là mais elle ne trouve, pourtant, sa validité, sa réalité comme telle que de se voir introduite par la question. Pirouette logomachique ou serpent se mordant une queue que rien ne distingue de la gueule ? A la fois tout et rien ?

Cette ouate vive, ce tissu d’un volume en quatre dimensions, cette volupté propagée selon les cinq directions des sens, et ces six versions d’une fable qui engendra, dans le cours de sa roue tactile, les sept degrés de l’extase, jusqu’à la huitième note de la gamme que mes dix doigts jouaient du dos de leur pulpe sur l’ongle, neuf, dont l’angle poli me caressait le cou. C’est ma vie, inchoative toujours quand d’un geste autoproclamé, elle n’en finit pas.
Je n’ai pas commencé, je suis tombée, par hasard, sur une pierre qui m’entailla la mémoire et y développa l’infection d’être affectée par la quête d’une source où boire le commencement. Comprenant, à mon péremptoire débit de salive qui suintait de mes commissures, que je recelais la source où boire, je m’enfermai en cercle dans la rotondité d’un corps. Je n’en puis sortir que par un second hasard : une fuite d’eau ayant englouti le voisin, je dus remédier par des travaux intellectuels à cet accident disproportionné. C’est ainsi que j’en vins à faire la connaissance de mon voisin dont, à ce jour, j’ignore toujours la provenance, sa traçabilité de chair n’est pas inscrite dans les registres de ma paume, je connais ma ligne de vie, elle ne m’a jamais avertie d’une issue dans ma propre discontinuité. Elle ne pouvait pas révéler ce qui, dans l’ordre de l’histoire, relève d’un silence : d’un mutisme.

L’être libre se définit par une souple et rodée articulation, des joints des chevilles à ceux des oreilles, et remontant du plus bas au plus haut, tout en lui fonctionne dans un But, à une Fin qui lui échoit de par une sorte de choix inhérent à lui-même, et qu’il atteint et rejoint par la coordination de ses gestes à l’intérieur du volume d’une poche qui est sa vie propre, où se développent de par ses propres mouvements dans leurs efforts désirants, ses intentions, donc, en tant qu’elles se concrétisent. Mais en même temps, il faut " faire avec ", avec tout ce qui incombe à autre que soi, à tout Autre, et aux hasards. Et cet extrinsèque n’est pas illusoire, il n’est pas tant sournoisement contenu dans le monde (la poche) de chacun où chacun " fait vie ", où chacun témoigne d’une existence dans un vivre, mais cet extrinsèque inter-vient, depuis un ailleurs, en nous, en notre sein, par l’" opération de commencer " – et jamais ne se ramène à quoi que ce soit de différent que " commencer ". Puisqu’il nous revient, il revient à chacun d’entre nous d’achever : nous récupérons dans l’orbe de nous-mêmes – de soi-même, cette écharde dardée depuis un rosier dont la Beauté séduit. A prétendre qu’il puisse " exister " – et ceci par refus du solipsisme, un rosier hors de notre propre jardin, nous l’induisons au sens où nous le portons à croître sur le terreau d’une idée dont nous croyons qu’il/elle est partout : le Possible. Nous croyons objectivement soutirer à notre imagination le possible dont nous savons pertinemment qu’il est un possible et qu’il n’est que cela, comme par un mouvement mental qui assoierait en toute impunité notre Soi dans un monde qui, pour relever de soi, de chacun d’entre nous en propre, " montrerait " un bord. Ce bord de soi visité par chacun depuis l’intérieur, projetterait soi : le bord, comme le décor appétissant de vies et de détails où fourmilleraient les ailleurs du possible. Nous possèderions intrinsèquement un monde-autre : il serait gravé dans ses reliefs mêmes à même la conque qui n’existe que par l’intérieur et qui seule existe, contenant l’univers avec les univers. Car imaginer d’autres ballons que soi à voguer dans ou hors (de) l’espace-temps et ceux-ci sous la forme de possibles comme autres, peut aussi bien être, dans une logique plus juste, ramené à une auto-projection sur l’écran de notre propre fermeture.
Pourtant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Si ailleurs il y a, et il y a " ailleurs " – ou " autre ", il ne faut pas chercher à définir cet ailleurs par ce que ce mot dans sa nature, dans sa définition suppose : à savoir la notion de lieu, de lieu dans un espace-temps (ne serait-il, celui-ci, que probable). Ailleurs il y a parce que quelque chose commence et indéfiniment re-commence dans une appétance. Le désir qui entraîne chacun à l’intérieur de chacun à faire preuve de soi comme développement pour soi, ce désir est proprement cela qui commence et, à ce titre, peut trouver son nom dans le mot " Ailleurs ". Il n’est pas forcément situé, situé hors de nous, ou en nous, et encore moins à nos marges, à nos marches, mais il corrobore son nom, sa dénomination d’Ailleurs parce que rien ne nous autorise à situer le désir, c’est à dire le commencement, à le situer comme relevant de soi. Chacun peut donner son accord "à " vivre, il ne le peut que par la persistance, même passive, à continuer de vivre, il ne tiendra pas des fibres de son corps en tant qu’il est cette volonté de vivre avec son désir de vivre, il ne tiendra ni de ses muscles ni de sa respiration de s’être assemblé en un corps. Chacun dans et avec son corps relève d’un donné, appelons-le " Ailleurs " puisqu’il est la chose la seule qu’il ne nous soit pas possible de penser.
Il faut penser soi en tant que les parois s’en dissolvent, il faut penser soi non comme ramassement sur soi, ce ramassement serait-il dilaté à l’infini d’un univers qui n’en finirait pas de résorber en soi des limites censées se propager indéfiniment. La qualité éparse, dilapidée et ponctuelle de soi, ne présente dans son détail aucune forme. Nous sommes des fragments dont le tout, la totalité est " assurée " (cela est supposé nous " rassurer ") par une " tenue " qui ne tient qu’à nous, et qui d’ailleurs ne tient, de fait, pas. La seule illusion recevable est seulement de soi comme soi, nous con-sistons en une articulation par les rouages, en un jeu d’articulations dont les points comme brisures saignent du jus de vivre. Représentées sur la surface d’un arbre, nos vies individuelles scintillent dans les différents nœuds des branchages, où chaque branche se subdivise en branches sans qu’il y ait là rapport d’un à plusieurs, de créateur à créature, de générique à généré, de cause à conséquence. Chaque nœud procède d’un autre qui n’est pas pour autant sa cause, nous sommes recueillis à l’état de scintillements dans la coupe de plusieurs nœuds dispersés, dans une coupe et plusieurs et dans chacune ignorons y être seuls ou dans la multitude, et c’est égal ; chaque nœud représente chaque soi à la mesure d’une effectuation partielle qui se regroupe pour faire corps, tant bien que mal, aléatoirement d’un nœud à l’autre, et le commencement d’être appelé à constituer un soi ne dépend que d’une continuation. Cela s’appelle " re-commencer ". Commencer, cet " autre ", cet Ailleurs, ne constitue ni un possible ni un probable, il relève d’une éventualité, d’une supposition dûment formulée dont, toutefois, le mot manque – faute de lettres en quoi l’écrire. Mais ce n’est pas l’en-vie qui nous manque.

mercredi 19 mai 2010

Beautés du retrait... VII


" Car cependant que je suis attentif, ô Marquise exquise, à marquer du pas de vos pieds le rythme de ma cadence qui engloutit sans frein, de vos reins l’avalanche en biscuits, Charlotte mignonne ramène une fraise que je décapite du bout de ma langue aiguisée de ses deux dents comminatoires, ou encore " crocs ". Je mange bien, d’autant de douceurs que de circonstances je me nourris, ne pensant pas à mal mais surtout à bien quand vous m’offrez de vos tétons la pointe embastillée de vanilles ".
Qu’en termes galants, ces choses-là sont dites. Je ne m’offusquerai pas d’un travers pratiqué à l’oblique, dans les obscurités torves des chambres contrefaites, lorsqu’à la nuit tombée, se réveille le chat gris. Je ne miaule pas plus d’un feulement étranglé vers un matou dont la panse bombée ressemble à un aspirateur : car, lui, ne ressemble plus à rien, sinon à l’outre dépositaire du deuil de sa queue. Mais je pense à ajouter au moteur de mes charmes, le tigre du bengale qui rugira d’aise à se voir dessaisi de sa trompe nuptiale. Il est peu de chimère semblable à mon amant, composé de tant de pièces rapportées qu’il semble, dès l’abordage que l’on fait de lui, impossible de décider s’il tient de l’arrosoir ou du cervidé, des enluminures d’un incunable ou des illuminations giratoires d’un gratte-papiers.
Tout ce galimatias amphigourique se résume en peu de mots, revient à peur de choses. Mais il faut flatter par là où l’on pêche, la prise n’en sera que plus servile, baladée d’arbre en arbre où se prend le fil de la canne lorsqu’elle a-grippé son pactole : la truite d’air. A ma truie contractuelle et péripatéticienne je souhaite la journée bonne surtout parce qu’il s’agit de rêver par quand, là, d’autres vivent. " Dors bien, donc ". Et ramène de ton voyage un sac de choses virtuelles qui pendront la malignité du Mal au clou de tes digitales. Cris donc. Une histoire point tant belle que conjuratoire.
Car, voici comment l’esprit vient aux " Filles " (je suis une " Fille-Limite " à la Lettre prés-prête-pépette-coquette et, comme tant d’autres, croquignolesque leste). Cocasse et putassière si l’on préfère, mais ordurière avec les façons de la Beauté. J’enjambe les amalgames et, fossoyeuse de malentendus, j’érige un tertre mortuaire, un oppidum à la turpitude des hommes où je plante la carie-pomme de ma dent verte ; drap de peau, peau de verre et Paix pour tous. Bon soir.

lundi 17 mai 2010

Beautés du retrait... VI


Il est légitime que nous nous interrogions sur le devenir de notre perception, de notre sensation, de notre idée (plus ou moins insue) du Hasard quand nous subissons, en ville, l’œil observateur qui nous piste dans nos moindres faits et gestes, des caméras de vidéosurveillance. Alors que l’on pourrait attribuer à la Ville, avec ses dédales de rues vouées à l’imprévu, la métaphore du Hasard moderne sous les auspices, sous le Possible, sous le Chiffre de la Rencontre.
Quel pourrissement faisons-nous subir au Hasard ?
Car, enfin, le Hasard n’est-il pas atteint alors, dans son être, par une détérioration de la grâce ou de l’innocence ? A se savoir marqué, à tout instant, par l’im-médiateté d’une omniscience qui, peu ou prou, fonctionne comme un censeur, celle de la caméra, et ce de par son simple être-là, l’individu ne sent-il pas que le temps marque le pas ? Ne sent-il pas que cette éventualité anecdotique mais de l’ordre du possible, d’un possible qui fait date et qui est dénué de toute véritable pertinence de " Hasard ", cette éventualité non seulement d’être vu mais aussi de se voir, à l’occasion de se re-voir, dans son cheminement en ville, que cette éventualité est, en quelque sorte, meurtrière. L’on tue, ici, le Hasard. Parce qu’à supposer que le Hasard qui peut, à tout instant, faire effraction dans notre devenir (dans notre " devoir-être ") qui suit son cours, soit dans cet instant-là, vu, constaté, décrit via l’œil de la caméra, alors ne consumons-nous pas l’espace et le temps consécutifs au Hasard et qui le constituent et le construisent aussi bien dans sa brèche temporelle instantanée ? Le Hasard nécessite la Liberté dans son sens de licence. Et le fait que, anecdotiquement, à l’occasion, quiconque pourrait et que nous, nous pourrions passer en revue l’un de nos propres instants de Hasard en ce qu’il fait effraction, en ce qu’il lance les dés qu’il vient de stopper dans leur course, cela se profile à notre conscience et/ou à notre inconscience, comme ce mal, délétère dans sa substance, qui littéralement " inverse " dans son sens et sa définition le concept de Hasard, le met cul par dessus tête. Être observé, sans ou avec la perspective que c’est soi qui est rendu à sa propre observation (– pour ceci spécifiquement dans un après-coup relatif et impropre à un Hasard qui refuse, lui, de s’inscrire dans une logique policière, cette " police " même qui pose de l’extérieur un continuum, même poreux mais théorique, mais sûrement factice et étouffant, annihilant sur le devenir du devoir-être), façonne l’esprit de chacun de nous dans le sens qu’en permanence il y a " auto-limitation de la Limite ". Ce " il y a " nous tombe sur la nuque de l’entendement et de la Liberté comme un couperet.
La vidéosurveillance constitue l’atteinte attentatoire au caractère symbolique du beau Hasard.
Si l’on se place dans l’optique du texte de Kleist : " Sur le théâtre de marionnettes ", la perte de l’innocence dans le sens de la perte de la grâce, relève pour nous, ici et maintenant, d’un phénomène beaucoup plus pervers : insidieux, fourbe et abondant vers une malignité.
Ne sommes-nous pas alors tentés par une forme " autarcique " du Hasard ? Ne risquons-nous pas d’entretenir, à titre d’ultime domaine privé, une folie, c’est à dire un jardin secret en forme de dérive et de délire (du moins pour les plus lucides d’entre nous) ? Le seul lieu, mental, comme espace et temps, de l’anonymat et de l’anodin en tant qu’ils sont l’attente et la tentation constantes d’un éclair de l’aléatoire, du hasard dans son secret même. Une forme d’utopie " quasi-paradoxale " (– quoique).
Passer invisible, passer comme visage dévoilé et ouvert à la re-connaissance et pourtant traqué, soumis à l’épreuve dans sa possibilité d’un marquage enregistré et donc capté et enfoncé dans la matérialité d’une mémoire dédiée au contrôle, à la certitude, destinée à graver dans le temps solide de l’espionnage, ce qui devrait naturellement être voué à l’évanescence. Cette vertu plurielle de l’abandon, de l’oubli, de l’insignifiance, du passage est consubstantielle au Hasard quand il détermine notre Liberté.
De cette main-mise du dehors sur le dedans, nous ne ressortirons pas " plus humains ".
Au mieux nous pouvons " ignorer " les caméras mais c’est sans compter avec une conscience de la chose (et moins l’être sera lucide et plus il en enterrera le savoir dans les couches profondes de soi, ce qui ne prête pas moins à conséquence) qui ne manquera pas de s’insinuer en nous comme le ver dans le fruit.
Faire comme si, est-ce là un nouveau paradigme pour la Liberté ?

dimanche 16 mai 2010

Beautés du retrait... V


" Nous avons l’avenir devant nous car, contrairement à vous, nous savons encore souffrir ". Voici ce qu’en substance disait un intellectuel russe s’adressant à un européen de l’Ouest. Et sans aucun doute pensait-il que l’on pouvait inclure au nombre des nantis de l’ataraxie ou du nirvana, les américains du Nord. La bêtise d’une telle sentence est consternante, et probablement partagée par ces mêmes nantis décriés, qui, il ne faut pas l’oublier, tiennent de leur civilisation occidentale (mais les orthodoxes ne sont-ils pas des chrétiens ?) – et peut-être de tout état de civilisation – dans l’épaisseur de leur chair, un diffus sentiment de culpabilité, attribué de façon changeante à une cause datée de leur époque, de leur Epoche du moment. Que ceci ne constitue pas, selon cet intellectuel, une douleur ou une souffrance, mais une simple latence résiduelle inépuisable de la chose " souffrance ", va, peut-être, de soi. En tout cas, cette mauvaise conscience pourrait, peut-être, selon lui encore (ce n’est là qu’une hypothèse, mais logique dans sa conséquence), s’expliquer, en conséquence, par la perception de ce manque, de ce défaut dangereux : " je ne supporte plus la souffrance, donc, je suis foutu ". Cela pourrait être l’une des " causes " du sentiment de culpabilité du moment (encore que je n’y croie guère). (Dans quelle mesure la Souffrance russe n’est-elle pas une démesure du sentiment de culpabilité ?).
Le fond de ressentiment qui se couche sous la souffrance des peuples, et quelle que puisse être l’origine de cette souffrance déclarée, est la chose la plus dangereuse qui soit ; et pour le coup la justification de la phrase qui ouvre ce texte, en découle : " Là où le peuple est malheureux, il y a ressentiment, et là où il y a ressentiment, il y a menace ". Je ne m’inscris pas dans la condamnation des révolutions car il en faudrait véritablement une dans les esprits pour qu’ils fassent leur deuil du malheur. Notre monde s’en trouverait mieux.
Car la souffrance ici revendiquée est celle de l’échelle d’un peuple. La vie est, par ailleurs suffisamment difficile, pour qu’elle charrie la véritable souffrance, celle qui se doit de rester personnelle et individuelle, qui est formatrice et inéluctable. Pourtant, il ne manquera jamais, non plus, de souffrance trouvant son origine dans le Politique. Car ce champ là est, par essence, constitutif du domaine privé. Il s’agit donc d’un problème de dosage ; et, surtout, de Hasard – celui que l’ " on " aura bien voulu laisser à la dispostion de chacun en tant qu’il finit, en fin de recensement, par faire peuple.
Que notre forme de civilisation aboutisse, par ailleurs, à un certain abrutissement ou amollissement des pensées, ne doit pas interférer avec ce principe que l’Avenir ne devrait jamais avoir à voir avec une aptitude à souffrir, ou plutôt, avec une incapacité à ne pas vouloir souffrir. L’Histoire démontre le contraire ? Mais trouvons-nous l’Histoire telle qu’elle a, jusqu’à maintenant, déroulé son tapis d’événements, exemplaire et digne d’être reproduite dans ses détails ? Bien sûr, me direz-vous, " on ne choisit pas ". Je répondrai : " Le problème de la Liberté n’est pas là ". C’est l’effort qui se choisit.
(Et cette notion d’effort relève encore aussi du monde occidental où le travail, sous l’égide du néo-capitalisme libéral, est tombé sous la férule d’une exigence aberrante et inhumaine (inhumain le capitalisme l’est depuis toujours) que les " travailleurs " sont condamnés ( ?) à supporter. Mais je suppose que cette souffrance-là, l’intellectuel russe en question, ne nous l’accorde pas ! – et bien qu’il y ait mort d’hommes, parfois. Car il y a mort d’hommes [qui n’ont pas enduré toute la souffrance] ? ). (Quel est le pourcentage d’alcooliques qui endurent la mort lente de l’atermoiement, en Russie ?). Il se peut aussi que l’"atermoiement " soit l’autre nom de cette souffrance revendiquée ; mais alors : dans quelle durée sommes-nous là ?
Certes, j’ai subordonné, dans une perspective peut-être surannée voire utopique mais morale, l’économique au Politique mais je maintiendrai ce qui, après tout, même si hypocritement, détermine encore la marche de tout peuple comme souveraine. Car la dérive pulsionnelle galopante de l’économique, devenue mondiale, élevée (et c’est un comble) au rang de méthode, témoigne bien d’un comble en ce que cet économique dans cette dérive se renouvelle en se jouant de sa propre saturation. A ce titre, le nanti du nirvana qui, paradoxalement ( ?), fonctionne selon la relance de la frustration [artificielle], le " citoyen-monde de l’ataraxie " représente le présent-futur de chacun de nous, toutes frontières confondues. Comment s’évincer dans la fuite ? Comment passer par la fente du dérobement à l’ordre présent ? C’est l’affaire de chacun de nous comme singularité. On pourra comprendre alors comment du " dé-nombrement ", c’est à dire du peuple dans son Chiffre, on peut passer au Peuple qui n’est pas, forcément, une population dans sa masse.

samedi 15 mai 2010

Beautés du retrait... IV


Par bonheur, je n’ai pas l’esprit d’oblation, je ne me déchirerai pas les entrailles afin d’entretenir dans leur suprématie les hommes, ou les enfants qui, comme il se doit, devraient être chers à mon cœur, être mon centre d’inertie, ma préoccupation vitale et ma seule raison de vivre.
Par bonheur, je suis perverse et, en conséquence, ne puis afficher ma main en ma compagnie, qui se montrerait dotée des attributs du sceptre digital et de la grenade aux mille graines féconde, et innocente comme le ballon. Je ne m’affiche pas pure ni auréolée de rutilance à l’image de la carrosserie d’une voiture neuve. Je ronronne d’autre façon. Mes doigts me servent à des jeux coupables et, toujours, se présentent sales, diaprés de la technique pourpre des digitales vénéneuses. J’empoisonne mes amants par l’opération d’en détourner le désir qu’ils ne conduisent qu’à des fins de défaillir, de faillir – par le manque, à eux, à être, à s’éclore. Je les suspends dans leur rôle.
Je suis barrée mais non plus de fait, soit anatomiquement, cette passade là est échue depuis presque toujours, j’ai brisé là avec l’aide d’un quidam. Je suis barrée à ce titre que dans la débauche je ne me livre pas, du moins de cette façon qui serait une délivrance mais qui, pourtant, est appelée à le devenir, délivrance : lorsque le jeu sera échu, échoué, joué, chu ; flouté. Floué.
Quiconque m’a vue affligée de bonté oblative, assista à la scène hypocrite de condescendre aux désirs de qui estimait à soi due cette mascarade. Je n’estime pas celui qui. Il s’agit d’un homme par définition. L’homme attend un minimum de révérence à son endroit par la femelle. Je ne mange pas de ce pain là. Mon pain, je l’ai toujours volé sciemment, en conscience. Mon pain, je ne le dois à personne d’autre qu’à mes doigts de chippeuse, de chippie et de mendiante fourbe. Je vole à l’escarcelle qui s’ouvre à la pitié de me faire l’aumône. Je suis un personnage " non " recommandable.
Je ne me vends pas, je me donne, exclusivement.

vendredi 14 mai 2010

Beautés du retrait... III


Pour ce qui est de l’histoire, de l’existence dans son cours de chacun d’entre nous, il s’agit d’une marche et d’une démarche comme d’un parcours accidenté dont chacun n’en finit pas de " réduire les fractures " : ramener à rien les reliefs qui ponctuent la vie et la déroutent. Car, pour " considérer une vie ", il nous faudrait toujours revenir à cette vérité que nous ne marchons pas (vers l’avenir) à partir d’un seuil ouvert, seuil lui-même qui serait toujours en marche (s’il est vrai que tout cheminement s’effectue sans stase – quoi qu’il en semble).
Il nous faut, au contraire, toujours commencer par la " fin ", soit la Finalité. Tout s’ordonne dans le temps du fait que cela a à s’ordonner ainsi. Ce n’est pas qu’il se trouverait quelque obligation, pour chacun d’entre nous, à être ainsi ce qu’il en sera de nous – du moins cela ne se trouve pas du point de vue d’une autorité transcendante, car je réfute toute idée d’autorité transcendante. Mais il y a " du " devoir-être : de ce fait que nous naissons / de ce fait que nous sommes nés.
Nous sommes donc soumis au hasard, un hasard factuel dont les " coups de masse " sont imprévisibles – par définition – et réels et notre devenir, celui dont nous sommes dotés de par la naissance (et ce par un coup de dé dont il n’y a pas à décider s’il relève du hasard ou du destin), notre devenir redresse les coups du sort – dans la mesure du possible ( ?). Et que signifie, alors, cette " seconde " finitude humaine ? Si l’on admet que la première est celle qui nous cantonne à notre propre devenir ?

Comment joue-t-on avec la(les) limite(s) ? Cela a-t-il un sens de supposer que ce genre de jeu soit possible ? Dans le contexte de ce qui vient d’être dit, comment croire en- , où placer- un " espace de jeu " ? Je répète : cela a-t-il un sens ?
Si ce n’est à emporter avec soi ce qui constitue de soi la limite ? Autrement dit : en quels présupposés (accordés selon quelle liberté ?) faut-il croire pour ne pas jouer avec la limite dans, depuis un en-deça de la limite ? La limite comme barre se renouvelant soi-même, est le propre ou l’un des propres de notre monde présent, une découverte récente du moins à l’échelle du monde dans sa masse. Que chacun s’autorise à en jouer semble aller de soi. Que cela constitue un enfermement se renouvelant de par soi, est indéniable. Mais comment en intimer le saut – le débordement – l’outre de la limite ? S’il est vrai que nous sommes là parvenus à un seuil qui, semble-t-il à l’encontre de l’ordre des choses, fait stase ?
Il ne faudrait pas prétendre que l‘histoire s’effectue sans piétinement. Que l’idée de progrès soit absurde et inadéquate, j’en conviens. Mais au-delà même du fait que cette idée repose sur celle d’une amélioration (d’un peu tout et rien) dans l’histoire, il ne faut pas manquer de comprendre que les ressorts du devenir individuel, donc les ressorts du devenir de chacun, semblent bloqués sur le ressassement du pire, (parce que, paradoxalement, nous voulons nous situer dans l’économique de l’amélioration). Le " psittacisme ". Parce que l’on joue de la limite depuis son en-deça.
Mais comment concevoir qu’un monde qui se sait déborder sur soi-même indéfiniment, sachant ainsi aussi que ce débordement même est contenu, qu’il appartient à la limite en tant qu’elle le résorbe ; comment concevoir que le monde dans sa masse humaine puisse formuler l’hypothèse que, tout bien considéré, la limite ne relève d’aucun signe, accessible aux sens et/ou à l’entendement, au Sens, ne relève d’aucun signe – pour faire signe, justement. Comment outrepasser la limite dans ces conditions ? alors que nous savons, que nous croyons parfaitement savoir que cela est, de fait, impossible ; alors même que nous en jouons dans la mesure du possible ; alors même que ce qui désigne la limite est absorbé par le mouvement pervers de surenchérir dessus, ce qui suppose que ce qui désigne la limite, c’est à dire la limite elle-même, soit finalement joué d’un jeu de tromperie, la limite est " jouée ". Parce que le signe nous en échappe, nous nous maintenons à ce que nous tenons, cette limite, ce quelque chose qui a la consistance et la solidité de la matière : une limite " pratiquée ".
Nous passons d’une époque à l’autre en changeant de limite, la Limite restant acquise dans son principe. Que notre temps fasse psittacisme, découle d’une confusion entre une limite dans sa nature – là, totalement éludée, et c’est presque un acte manqué, un symptôme – et ce qui fait Temps, soit la Limite comme finitude qui ne s’éprouve pas. C’est que toute Limite disparaît dans la sensation d’une finitude, certes cela peut sembler aberrant, mais finitude diluée à l’échelle même d’un infini : d’un horizon, ou ce qui " fait Notion " pour toute époque donnée ; et la Limite en vient à constituer, en quelque sorte anecdotiquement, la limite. Mais la petite limite limitée qui nous occupe, présentement, mange tout l’horizon dans sa prétention à dépasser la notion même de temps. La vertu du labourage entêté du sol aboutit à l’incarcération dans le sol de la limite, nous voulons l’y enraciner afin qu’elle se renouvelle dans ses termes, identique à elle-même, pour, comme " on passe le temps ", passer sans passer. La main-mise sur la limite est un acte contre-nature, et, pour tout dire, qui relève d’une illusion. Pris au piège d’une domination illusoire, nous sommes véritablement les jouets de ce dont nous nous jouons, l’illusion se referme sur nous, la Limite en majesté prend les mâchoires du joug. Nous jouons comme nous re-jouons la limite parce que nous avons cru en évincer le principe qui, lui, n’est pas manipulable et, de ce fait, nous tombons doublement : d’abord hors de notre propre devenir, ensuite sous les crocs du Symbole, sous ses crocs parce que le Symbole érigé en système (en idéologie ?) épuise tout dehors. Nous tomberions sous la chape de plomb d’une autorité totale.

jeudi 13 mai 2010

Beautés du retrait... II


Ne pourrait-on pas dessiner une adéquation comme étant cette forme qui rejoint son infini ? Elle aurait alors pour trait unique se refermant sur soi, cette circonférence imparfaite que l’on n’aperçoit pas parce qu’elle déborde du cadre, et l’on ne pourrait en deviner le mouvement que par le frisson du vide, invisible, inaltérable mais dont on peut toujours supputer " qu’il est là " puisque rien d’autre ne peut expliquer, de notre peau, le frisson jubilatoire : en réponse au frisson d’une adéquation qui nous roule au bain de son eau, nous nageons, avec ampleur. Rien ne bouge – mais avec ampleur.
Quand, par le passé, on usait d’une chandelle pour lire, il se comptait bien des personnages pour y trouver de l’inconfort, voire de la fatigue ou de la douleur lorsque les yeux pâtissaient de la mauvaise lueur pingre de la bougie. Par le passé, on devenait myope irréversiblement, même lorsque l’on commença à polir des verres, leur qualité ne permettait pas de rendre la vue avec la qualité qui est celle d’aujourd’hui. Et " aujourd’hui " fluctue d’un jour à l’autre.
L’empêchement, la souffrance, la maladie, la mort trouvent leurs limites dans ce qui ne conçoit pas de limite. Nous gobons par grandes bouffées un air qui ne nous semble que plus ou moins vicié, selon " l’air du temps ", et cette limite d’une critique que nous voulons objective et que nous appliquons à notre temps, chacun en son temps, chacun pour son temps comme à son propre clocher, nous ne comprenons pas que nous ne pouvons la formuler, en quelque sorte même la " créer " que parce que ce qui constitue l’adéquation est l’adéquation même mais à la fois parfaite et pipée.
Croire son corps scindé, ne serait-ce que par l’enveloppe de la peau, est justement une croyance. Nécessaire et fausse. Juste et abusive.
Un double attelage nous mène : un cercle achevé par une ligne droite, et dont toute la trace du trait qui le matérialise nous est une pure sensation. Et cela seulement. Un cercle barré. Le cercle : pour ce qui (nous) va de soi ; la barre (qui le tronque en l’achevant) pour ce qui nous frustre. Au ressac de ces deux lieux dans le Lieu, nous éprouvons des sensations qui s’épuiseront en sentiments qui, eux-mêmes, nous seront assimilés par le travail ouvrant aux concepts. La gradation en nuances est infinie des sensations qui se déploient du pseudo-cercle à sa barre, elle peut être incohérente dans son " classement " si l’on en suppose les critères comme étant la logique et la chronologie temporelle (pléonasme nécessaire). Mais si l’on pouvait analyser de chaque sensation résorbée en sentiment(s) abouti(s) en concept(s), si de chacune l’on pouvait analyser la trame composite, on pourrait en distribuer les composants, ces infimes impressions souvent, donc, mitigées et mêlées, entre " l’élargissement " d’une adéquation à sa forme, soit le cercle qui se rejoint soi-même dans un principe de limite qui ne se " sent " pas, qui ne se " ressent " pas, et le front qui se dresse face à nous de la limitation, soit la barre qui nous rappelle impitoyablement à notre finitude, confrontation des plus désagréables.
Ce cortège de sensations immédiatement mélangées aux sentiments et aux idées qui sont les nôtres, forme une vaste et faste tapisserie de représentations qui nous mure entièrement de l’intérieur. Cette tapisserie dans sa mouvance, son inconstance, son devenir et son Ouverture : son absence d’étanchéité malgré la fermeture dont témoigne son caractère de totalité signifiante (et sans doute faut-il compter au nombre de ce qui la clôt sur elle-même son ouverture, cette sorte d’imperfection à rebours puisque cette imperfection montre qu’il y a eu " incorporation " du temps comme d’une donnée inaltérable), cette tapisserie nous raconte au jour le jour dans son effectuation de passage, elle constitue de chacun de nous l’histoire " mythique " : notre histoire telle qu’elle n’a pas à être vécue par nous mais dont découle celle que nous vivons en tant que son Mensonge. Nous vivons, chacun en tant que nous sommes, entre le monde et le monde. Nous en recevons ce que nous lui donnons. Nos sensations en proviennent par le biais de notre prisme et y retournent. Nous-mêmes comme " êtres humains ", c’est à dire, a priori, pensants, suintons des parois décoratives de cette caverne crânienne qu’est, tout entier, notre corps, cette usine à vivre. Chacun pour soi nous fabriquons cette sueur physique, et cette humidité sent le foutre ou l’urine ou que sais-je encore.
Entre le bien profond et les maux, leur " malaiseté " dérangeante nous sommes distribués dans l’unité-même d’un seul corps dont l’enveloppe de peau témoigne de la séparation d’un reste ; pourtant. De quelle sorte est cette peau trouée de pores abouchés au monde dans le mouvement de la respiration qui, littéralement, mange l’air ?
A chaque fois, pour cette fois-là, le coup de dé abolit le hasard. Mais le temps ne s’arrête pas et pour autant que nous vivons, nous sommes sommés de vivre. Les hasards dénaturés en destins s’entassent, quoique ces destins n’en soient pas mais de simples relances, pour leur " terminaison " inévitable en " impressions " qui nous composent indéfiniment – aussi bien dans l’indétermination que l’infinitude. Nous passons. Entre bon et mauvais.

mercredi 12 mai 2010

Beautés du retrait... I


Le si gracile i est rouge, rouge à l’image du pan de mur entier dépecé qui coule son sang, sur sa largeur massive entière ; le si gracile i avec son fil, celui-là même de la dentelle qui vient le couper et le retrancher, trait qu’il était d’un seul tenant, le retrancher d’un point, qui le couronne, et donc le fait i. Dentelle et mur sans jours, finesse fragile de ce qui tient par le béton dont on omet à dessein, le stuc et le plâtre s’ils en viennent décorer par la futilité les prétentions de poids inaltérable, ancré au sol par le refus du doute – ce doute même qui me ronge.
En rien, en quoi que ce soit je ne crois plus, ni au muguet ni aux éternuements. Et je me passerais bien de croire, encore, si simplement il s’agissait de ne pas croire, car pour ne pas croire il faut supposer un croire possible. Et cela m’ennuie : de supposer qu’au laisser-aller de mon ne-pas-croire, il puisse pré-exister, ne serait-ce que par son biais logique, un " croire ". Cela me fatigue. Cela m’épuise de me détourner du croire – serait-ce d’un mouvement qui m’indiffère, d’un mouvement qui ne se fait pas sentir pour ce qu’il est.
Je ne fais pas d’effort : pour ne pas croire. Cela me vient naturellement, mais croire m’a longtemps coûté, coûté du temps et du désespoir. Je me repose du désespoir. Je n’espère plus, donc, je ne crois plus. Je suis bien. Et fatiguée, fatiguée d’une fatigue qui me vient d’un passé d’usure, passé qui m’a usée et dont je me repose par la résignation.
On peut en arriver à se suicider par désintérêt. Cela sera mon cas.
Noir du sombre ; blanc du neutre ; rouge involontairement.

mardi 11 mai 2010

Beautés du retrait de la nature

Beautés du retrait de la nature - Une photographie, ici, de Hilla et Bernd Becher.

lundi 10 mai 2010

Passage (suite 1)

Du miroir au miroir

Bien qu’ayant dûment apposé son paraphe au bas du Serment d’Hippocrate, le médecin ne s’autorise pas du devoir implicite d’arborer un supplément d’humanité, les médecins sont à l’image de la moyenne de l’humanité : médiocres. Les longues années d’études élaborées, les concours difficiles ne retranchent ni n’ajoutent quoi que ce soit à l’affaire, si ce n’est, sans doute, de se croire plus que quiconque obligés à la mauvaise humeur. Les médecins s’avèrent être, pour la plupart, humains dans le sens de la banalité, de l’inadéquation de l’humanité à l’humanité, ils abondent dans le manque de finesse psychologique et l’arrogance. Ce sont pour beaucoup des balourds, et pour beaucoup des brutaux ; être un " bon " médecin n’engage qu’à l’acuité du diagnostic et au bon remède préconisé. Ils annoncent la mort avec toute la morgue de qui est au fait du procés physiologique, avec l’indifférence lasse des blasés, avec la cruciale nécessité de se protéger soi-même de comprendre : il ne faut pas, il vaut mieux ne pas comprendre ce à quoi chacun assiste là ; mais avec timidité aussi. Il ne faut donc pas leur en tenir rigueur mais il faut voir en eux pas plus que ce que peut l’homme. Un médecin peut être humain, c’est dans l’ordre des choses, il le sera à l’échelle, dans la mesure de la quantité d’êtres " humains " parmi les humains. Dans cette acception-là, je puis dire qu’il y a, par ailleurs, des bêtes très " humaines ". Mon chien est un chien très humain. Mais cela supposerait de facto une supériorité originelle de la qualité dite " humaine " sur l’animale – lorsque l’on considère le concept sous son jour avantageux, bénéfique. Il convient, donc, de dénicher un autre terme – Et nous allons nous y employer. Il s’agirait d’un mot adéquat à la notion de bonté.
Et sans doute n’y aurait-il pas meilleur autre terme qu’un terme tenant compte dans sa physionomie d’une nature inséparable de toute idée d’altérité. L’autre " terme ", le terme adjacent, le terme nouveau contiendra, en corps et en âme, en forme et fond, en lettres et leurs sens, ce qui fait, dans l’ordre chronologique, historique, le chiffre de son apparition dans sa nécessité ; l’adjectif qui aura qualifié le mot quasi-abstrait de terme, soit " autre ", se coulera dans le mot nouveau comme le bronze se coule au moule. Rien ne lui pré-existe, si ce n’est que ce qui lui est donné dans l’instant, fait sa condition d’être, et donc, d’avoir été. Il n’existait pas. Il n’existera sans doute pas. Mais il aura fait l’objet d’une conjecture. Ce mot contiendra " autre " autant pour ce que cet adjectif signifie que par son adjonction temporellement datée. Et cela ne renvoie pas à " maintenant ", moment de rédaction de ce texte, cela ne renvoie pas à un glorieux présent – nul ne contreviendra à l’idée que notre époque ne permet pas de dater, ici, une humanité " humaine " dans son avénement ! Nous désirons par cette désignation d’un [ autre terme ] " nouveau " dès aujourd’hui, montrer la durée par quoi est incompressible toute vie humaine du moment qu’elle aura été.
Pensons bien, comprenons bien que la durée qui s’étire et dure maintenant, alors que je lis ce texte en l’écrivant, est aussi celle de mes contemporains, que cette durée qui maintient ouverte la largeur de l’air fragile entre deux murs de béton incoercibles et coercitifs, ne se ferme pas. C’est le temps de la vie qui aura été, qui est celui-là même de l’homme préhistorique. Nous " connaissons " un temps de vie qui renvoie, dans une façon eidétique, à une durée, et dont nul vivant, mort ou à naître, n’est en mesure de donner la " définition ". Au sens où nul, aucun d’entre nous ne peut décider – et malgré l’évidence, l’entendement commun et le bon sens – si la mort referme cette durée au sens où elle la " compresserait " quand cela renverrait à rien les innombrables vies, les innombrables durées qui se sont maintenues durant leur temps d’ouverture. Comment se maintiendraient-elles donc ? Autrement dit : " où " se maintiennent-elles ? ceci n’est pas une profession de foi dans le surnaturel, bien au contraire ; mais renvoie à l’idée, paradoxalement, que, de ce qu’une durée a été, dans l’imagination a pour conséquence d’ouvrir toutes les brèches. Le flot étant lâché, de ce flux irrépressible on concluera que si tout relève du réel ( le réel est le seul " objet " de la Pensée), personne n’est autorisé à penser qu’il puisse en " y avoir ", qu’il en existe un dehors ; nul n’est autorisé à penser au fait d’un dehors du tout.
La " durée bonne " est celle du nombre en tant qu’il fait individu. Un miroir regarde un autre miroir dans toute l’inaliénabilité de leur être-là. Certes, mais – il n’y a que cela. Ce montage. Tout ce qui passe en fait de détails colorés dans/entre les miroirs renvoyés les uns aux autres, organise chaque durée pour ce qu’elle est : un courant d’air solide que l’on peut, accessoirement, qualifier de " visible ", autrement dit, d’accessible aux sens puisque c’est là la condition qu’il y ait un sens à tout et à rien – tout ce que j’écris, du fait que j’écrive (nous sommes ainsi ici précisément, dans ce texte qui s’écrit, phénoménologiquement, dans une métonymie). Tout ce qui se renvoie du miroir à l’autre, réflexion créant cela dont elle est l’objet à l’infini, provoque le phénomène de résonance qui atteste de par sa profondeur dans les reflets renvoyés à l’infini, qui atteste de ce que la durée persiste perpendiculairement à son effectuation éphémère dans le plan " plat " (c’est ici un pléonasme et un abus de langage destinés à susciter la compréhension, il n’y a, de fait rien de plan, de plat au monde) de nos vies. La durée se maintient par ce qu’elle montre : des détails qui, par nécessité, l’enjolivent ou, pourrait-on dire, " lui prêtent vie ". Ces détails, substantiellement, sans aucune connotation morale, constituent des Fraudes. Des " fraudes " puisque par leur caractère intrinsèque de " leurre ", nous bâtissons, nous humains, en les archivant selon des architectures complexes, des théories qui nous sont la vie même, c’est à dire la Réalité, la " Réalité-pour un oubli du Réel ". Cela passe, cela naît puis meurt. Flux de larcins. Flux de Larsen.
Le reflet crée la chose en tant qu’elle n’est que cela, un reflet qui s’origine dans un devoir-être préalable à tout devenir, et devenir où s’échelonne une histoire, une Chronologie dont rien, à ce jour, ne prouve le caractère de nécessité dans l’effectuation graduelle, linéaire de la vie ou de la réalité – ce qu’il ne faut surtout pas assimiler, de notre part, à une négation du Temps. Le Temps est la sève du Réel, il lui prête ce qui le remplit ; et la plante perdrait toute consistance à être vidée, cette tautologie voudrait démontrer que Temps et Réel sont à l’évidence l’un de l’autre. L’un et l’autre par l’un par l’autre.
La seule nécessité du devenir est son déroulement apparent que l’on peut raisonnablement, spontanément dire linéaire et dépendre du temps. Quant au devoir-être des choses (comme des êtres) il aura été fixé par une agrégation endogène à la chose, relatée sur son bord, comme on le fait d’un conte, mais pas plus, par le calcul des statistiques et autres probabilités. Une histoire intime affleure au présent et/ou à l’événement par un résultat mathématique, sous cet angle de vue, la chose considérée aura " été sautée ", l’on aura sauté d’un dedans à un dehors sans qu’il y ait réel passage, ou plutôt, sans que nous soyons à même d’analyser la Nature de ce passage. Cette incapacité décrit le scepticisme actuel, contemporain. Décrit un doute qui verse, par réaction, dans la religiosité bétonnée. Si le devenir de la chose s’ordonne dans le temps, le Réel, lui, est consubstantiel au devoir-être d’une chose, et cela signifie, entre autres, que la chose dans sa nécessité endogène s’arme, au sens où le fait le béton, d’une charpente qui, entière, la détermine et qui se trouve être le Temps ou ce que nous sommes capables d’en penser.
Nécessité inhérente, intrinsèque à la chose dont témoigne le temps lorsqu’il développe la chose dans sa chance, Nécessité du devoir-être, d’un devoir-être seulement habité du Temps, et Temps qui trouvera, à s’épancher dans un devenir chatoyant, par le temps, une Réalité dont la Chose est la garante, en tant qu’elle existe. Où, à ce stade du raisonnement, placer, introduire le dehors nécessaire du monde comme lui étant compatible, com-préhensible ? si ce n’est par le travers, l’oblicité des lois de probabilités dans ce qu’elles ont de comptable, du relevé du monde par le chiffre. Autrement dit : comment retourner la sphère de l’extérieur vers l’intérieur, étant bien entendu qu’il demeurera, comme un reste inépuisable, un fossé au sein même de la juxtaposition à faire de la double, inhérente et réalisée Nécessité de la Chose et la Loi puisque celle-ci dénote une existence (celle de la Chose) à la solde de son témoignage (exogène) de chose, à la solde d’une trace, celle de toute chose quand elle a été, est et sera, et tout ceci de par-, au nom d’-, un résultat. Ce résultat est " calibré ", cela le définit dans son essence. Il ne faudrait pas croire que l’on tente ici de réduire deux dimensions hétérogènes l’une à l’autre à un " domaine " de sens (le mot est à prendre comme étendue dans l’espace, il témoignerait d’une flaque où trempent dans un bain commun, Loi(s) des choses dans leur événementialité et " Être " de la Chose comme ce qui assume de la Chose sa Nécessité endogène voire intime).
Là où le bât blesse et parce que (là) il blesse, il faut ouvrir : tenir pour effectif, ce " domaine " dans son étendue (quand bien même, là encore, il n’est fait allusion à aucune " plateté "), et peut-être, donc, serait-il plus pertinent de parler d’un volume (mais ce mot, encore, est restrictif et inexact, pour ne pas dire inapproprié), un domaine conceptuel dans son volume mais dans lequel, là est la clé, il ne faudra pas manquer de voir, de trouver le concept, d’inoculer le concept d’" Appui ", cette sorte d’étayage. Dire que l’une est le revers de l’autre et que de par le fait de leur opposition nécessaire (pour ainsi dire à leur équilibre) de fait, physique, elles ne peuvent pas se " connaître ", ni se rencontrer, renverrait dos à dos : Nécessité endogène couplée à son effectuation de fait, et Loi. Il y a, dans cette histoire qui dure et que nous tentons de raconter, un " incompressible ". Mais au-delà ou en deça ( ?), de cette irréductibilité, demeure un " domaine volumique ", un Lieu où. Un Lieu de la spéculation. Nous entendons bien que ce mot n’explique rien. Mais si l’on incorpore à ce lieu abstrait, spéculatif et issu, " concrètement " (dans son apparition comme concept) de l’Imaginaire, si l’on incorpore ce qui s’y trouve depuis toujours, à savoir un Mot, il " suffira " alors à ce " Mot " de contenir ce qui le contient ; soit ce domaine volumique, ce Lieu en tant qu’il fait lieu – ce Lieu qui fait réponse lorsque l’on pose la question impossible du " Où suis-je ? " pour un corps qui peut être là où il n’est pas.




Le mot / la mort
The word / the world
Das Wort : die Wörter / die Worte
… etc …

mardi 4 mai 2010

Citation - troisième

Hans Blumenberg
Paradigmes pour une métaphorologie.
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La découverte de l'histoire au sein des Lumières et à rebours de leur sens est le découverte de l'illusion de la "vérité nue" ou de la nudité comme illusion, le dépassement de la métaphore et son renouvellement en ce sens que désormais les "déguisements" de la vérité ne prennent plus leur origine dans la nécessité rhétorique de se parer d'ornements et dans l'imagination poétique, qu'ils ne représentent absolument pas des "ingrédients" détachables et accidentels mais déterminent de manière constitutive le mode de manifestation de la vérité.
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En raison d'une certaine préférence pour les formules lapidaires - même si le principe de cette étude a été de ne pas y avoir recours - on pourrait dire que dans leur homogénéité structurelle certains des processus intellectuels fondamentaux de la modernité peuvent être interprétés comme autant de destitutions de la métaphorique du cercle. On trouverait également des confirmations dans le fait que des réactions et des mises en cause de l'esprit de la modernité se réclament de la métaphore du cercle, renouvellent son caractère impératif, comme c'est bien entendu le cas de façon très prononcée chez NIetzsche.
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Chez Aristote, le fait que le mouvement circulaire soit le mouvement "naturel" renvoyait à tout un arrière-plan métaphorique et rationnel destiné à le justifier ; pour Nietzsche, c'est l'ultime principe, qui se soustrait à toute justification : "Le raisonnable ni le déraisonnable ne sont des prédicats applicables au tout, le cercle est une nécessité déraisonnable, au mépris de toute considération formelle, éthique, esthétique." Ainsi que nous l'avons vu, la métaphore absolue se substitue à un vide, elle s'élabore sur la tabula rasa de ce qui ne peut être rempli théoriquement ; ici, elle a pris la place de la volonté absolue, défunte. Souvent la métaphysique s'est révélée à nous n'être qu'une métaphorique prise au pied de la lettre ; l'effacement de la métaphysique redonne à la métaphorique sa place.

dimanche 2 mai 2010

Citation - deuxième

Walter Benjamin
"Sur le concept d'histoire".
On raconte qu'il aurait existé un automate qui, conçu de façon à parer n'importe quel coup d'un joueur d'échecs, devait nécessairement gagner chaque partie. Le joueur automatique aurait été une poupée, affublée d'un habit turc, installée dans un fauteuil, la bouche garnie d'un narghileh. L'échiquier occupait une table dotée d'une installation intérieure qu'un jeu de miroirs savamment agencés rendait visible aux spectateurs. L'intérieur de la table, en vérité, était occupé par un nain bossu maniant la main de la poupée à l'aide de fils. Ce nain était passé maître au jeu d'échecs. Rien n'empêche d'imaginer une sorte d'appareil philosophique semblable. Le joueur devant infailliblement gagner sera cette autre poupée qui porte le nom de "matérialisme historique". Elle n'aura aucun adversaire à craindre si elle s'assure les services de la théologie, cette vieille ratatinée et mal famée qui n'a sûrement rien de mieux à faire que de se nicher où personne ne la soupçonnera.
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Il y a un tableau de Klee dénommé Angelus Novus. On y voit un ange qui a l'air de s'éloigner de quelque chose à quoi son regard semble rester rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche est ouverte et ses ailes déployées.Tel devra être l'aspect que présente l'Ange de l'Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où à notre regard à nous semble s'échelonner une suite d'événements, il n'y en a qu'un seul qui s'offre à ses regards à lui : une catastrophe sans modulation ni trêve, amoncelant les décombres et les projetant éternellement devant ses pieds. L'Ange voudrait bien se pencher sur ce désastre, panser les blessures et ressusciter les morts. Mais une tempête s'est levée venant du Paradis ; elle a gonflé les ailes déployées de l'Ange ; et il n'arrive plus à les replier. Cette tempête l'emporte vers l'avenir auquel l'Ange ne cesse de tourner le dos tandis que les décombres, en face de lui, montent au ciel. Nous donnons nom de Progrès à cette tempête.
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Walter Benjamin
"A propos de quelques motifs baudelairiens".
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La théorie de la mémoire telle qu'elle a été développée dans Matière et Mémoire se rattache à un type d'expérience qui, au cours du XIXème siècle, a subi des atteintes profondes. Bergson tend, grâce à la catégorie de la mémoire, à restaurer le concept d'une expérience authentique. Cette expérience authentique existe en fonction de la tradition et s'oppose ainsi aux modes habituelles d'expérience propres à l'époque de la grande industrie. Proust a défini la mémoire bergsonienne comme une mémoire involontaire ; en son nom il avait essayé de reconstruire la forme de narration. Le rival de cette dernière s'appelle, à l'époque de la grande industrie, l'information. Elle développe, par le moyen des chocs, une mémoire qui, par Proust, a été opposée à la mémoire bergsonienne sous le nom d'une mémoire volontaire. Il est permis de considérer, conformément à Freud, la mémoire volontaire comme étroitement liée à une conscience perpétuellement aux aguets. Plus la conscience sera obligée à parer aux chocs, plus se développera la mémoire volontaire, et plus périclitera la mémoire involontaire. L'expérience éminemment moderne du choc sera la norme de la poésie baudelairienne. Par l'image de l'escrimeur, Baudelaire qui, en flânant, était habitué d'être coudoyé par les foules des rues, s'identifie à l'homme qui pare aux chocs.
Le choc en tant que forme prépondérante de la sensation se trouve accentué par le processus objectivisé et capitaliste du travail. La discontinuité des moments de choc trouve sa cause dans la discontinuité d'un travail devenu automatique, n'admettant plus l'expérience traditionnelle qui présidait au travail artisanal. Au choc éprouvé par celui qui flâne dans la foule correspond une expérience inédite : celle de l'ouvrier devant la machine.
Le réflexe mécanisé de l'homme livré au monde moderne se traduit chez Baudelaire dans l'attitude du joueur. Pour l'homme qui s'est adonné au jeu, l'expérience du choc se présente en ce qu'elle a de plus essentiel, c'est à dire comme une façon d'éprouver le temps. Le spleenétique qui ne peut se dégager de la fascination exercée par le déroulement du temps vide est le frère jumeau du joueur. En face du Spleen, l'oeuvre Baudelairienne évoque l'Idéal. L'Idéal, c'est la mémoire involontaire, initiatrice aux "correspondances". Dépositaire des images d'une vie antérieure, l'Idéal serait le consolateur suprême s'il n'était tenu en échec par la "beauté moderne" qui est essentiellement spleenétique. Les souvenirs plus ou moins distincts dont est imprégnée chaque image qui surgit du fond de la mémoire involontaire peuvent être considérés comme son "aura". Se saisir de l'aura d'une chose veut dire : l'investir du pouvoir de lever le regard. La déchéance de l'aura a des causes historiques dont l'invention de la photographie est comme un abrégé. Cette déchéance constitue le thème le plus personnel de Baudelaire. C'est elle qui donne la clé de ses poésies érotiques. Le poète invoque des yeux qui ont perdu le pouvoir du regard. Ainsi se trouve fixé le prix de la beauté et de l'expérience moderne : la destruction de l'aura par la sensation du choc.

samedi 1 mai 2010

Citation - première

Kleist
"Sur le théâtre de marionnettes."

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Il m'assura que la pantomime de ces poupées lui procurait un plaisir intense et me fit clairement sentir qu'elles pouvaient apprendre toutes sortes de choses à un danseur désireux de se parfaire.
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Il me demanda si je n'avais pas trouvé très gracieux certains mouvements que faisaient les poupées, et notamment les plus petites.
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Chaque mouvement avait son centre de gravité ;
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La ligne que le centre de gravité devait décrire, était il est vrai très simple et, comme il le pensait, dans la plupart des cas droite.
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D'un autre côté pourtant, cette ligne était extrêmement mystérieuse. Car elle n'était rien d'autre que le chemin qui mène à l'âme du danseur ; et il doutait que le machiniste puisse la trouver autrement qu'en se plaçant au centre de gravité de la marionnette, ou en d'autres mots, en dansant.
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Je rétorquai qu'on m'avait dit de ce métier qu'il était sans âme : un peu comme la rotation d'une manivelle qui actionne une vielle.
"Pas du tout, me répondit-il. Les mouvements de ses doigts entretiennent un rapport assez complexe à celui des poupées qui y sont attachées, à peu près comme les nombres à leurs logarithmes ou l'asymptote à l'hyperbole."
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- Il n'y a rien, me répondit-il, qu'on ne trouve déja ici : harmonie, mobilité, légèreté - mais à un plus haut degré ; et surtout une distribution des centres de gravité qui soit plus conforme à la nature.
- Et quel avantage cette poupée aurait-elle sur les danseurs vivants ?
- Quel avantage ? Avant tout, mon excellent ami, un avantage négatif : elle ne ferait en effet jamais de manières. Car l'affectation apparaît, comme vous le savez, au moment où l'âme (vis motrix) se trouve en un point tout autre que le centre de gravité du mouvement. Et comme le machiniste ne dispose, par l'intermédiaire du fil de fer ou de la ficelle, pas d'une autre point que celui-ci, les membres sont comme ils doivent être, morts, de simples pendules, et se soumettent à la seule loi de la pesanteur ; une propriété merveilleuse qu'on chercherait en vain chez la plupart de nos danseurs.
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"De telles erreurs [humaines], ajouta-t-il pour couper court, sont inévitables depuis que nous avons mangé du fruit de l'Arbre de la Connaissance. Mais le Paradis est verrouillé, et le Chérubin à nos trousses ; il nous faudrait donc faire le tour du monde pour voir s'il n'est peut-être pas rouvert par derrière".
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"Du reste, me dit-il, ces poupées ont l'avantage d'êtres antigravitationnelles."
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Je lui dis qu'aussi adroitement qu'il mène l'affaire de ses paradoxes, il ne me ferait jamais croire qu'il puisse y avoir plus de grâce dans un mannequin mécanique que dans la structure du corps humain.
Il répondit qu'il était absolument impossible à l'homme d'y rejoindre un tant soit peu le mannequin. Que seul un dieu pourrait, dans ce domaine, se mesurer à la matière ; et que c'était là le point où les deux extrémités du monde circulaire venaient se retrouver.
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Je lui dis que je savais fort bien quels désordres la cosncience provoque dans la grâce naturelle de l'homme.
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- Ainsi, mon excellent ami, me dit Monsieur C..., vous êtes en possession de tout ce qu'il faut pour me comprendre. Nous voyons que, dans le monde organique, plus la réflexion paraît faible et obscure, plus la grâce est souveraine et rayonnante. - Cependant, comme l'intersection de deux lignes situées d'un même côté d'un point se retrouve soudain de l'autre côté, après avoir traversé l'infini, ou comme l'image d'un miroir concave revient soudain devant nous, après s'être éloignée à l'infini : ainsi revient la grâce, quand la conscience est elle aussi passée par un infini ; de telle sorte qu'elle apparaît sous sa frome la plus pure dans cette anatomie humaine qui n'a aucune conscience, ou qui a une conscience infinie, donc dans un mannequin, ou dans un dieu.
- Par conséquent, lui dis-je un peu songeur, nous devrions manger une fois encore du fruit de l'Arbre de la Connaissance, pour retomber dans l'état d'innocence ?
- Sans aucun doute, me répondit-il ; c'est le dernier chapitre de l'histoire du monde".