dimanche 13 février 2011

AR XII Pro(lit)fération de la Mousse


Toutes mes solitudes d’éther minées logent à bon droit dans des bulles qui hantent un espace clos que l’on ne pourrait ouvrir, cet espace se contente de s’ouvrir sur lui-même comme un miroir courbe se regarderait ; que ce faisant, ce miroir enveloppe quelqu’un ou quelque chose qui serait alors susceptible de se refléter dans sa suite de miroirs creusés les uns dans les autres dans un engloutissement sans distance ni déplacement : je ne le sais pas. Je vis avec la mort. Mais en toute légèreté. Rien ne me pèse moins. Je me sais simplement vouée à une échéance, je me sais aussi vieillissante et ne profitant guère, je ne m’en désole pas. Si logeait quelqu’un au cœur de ce tourbillon au pas égal, mesuré, ce ne pourrait être que moi car il est celui qui m’est dévolu, comme doit en être imparti un à chacun. Le doute n’en demeure pas moins. J’habite le doute. Le doute n’est pas contagieux malgré l’ignorance universelle car, que chacun doute, j’en suis persuadée, mais la seule pelure qu’il revêt pour chacun, en modifie sa nature en ce qu’il est et reste " doute ". A la racine, il n’y a pas pire mot valise que le doute.
J’ai une valise à chaque pied. Il faut de cela que vous tiriez la conclusion inverse de ce qu’elle induit, la logique n’en est pas moins respectée : on comprendra que mes valises charrient les distances franchies que je ne franchis pas, il s’agit en quelque sorte d’une déduction par l’absurde et non par antithèse (j’ignore si les mots sont appropriés, je suis une paysanne et j’ai beaucoup de lacunes ; mais, admettons que vous ayez compris en pesant intellectuellement le vide qui hésite approximativement entre chaque mot), j’expliquerai que le raisonnement passe par l’absurde et non l’antithèse parce que j’en ai décidé ainsi, parce que j’ai décidé d’appliquer à mon cas une aura d’imputrescibilité.
Les choses qui balancent d’un bord à l’autre, aux extrêmes, finissent toujours par se fatiguer de la bascule, elles s’épuisent et si elles meurent, c’est en tombant dans le négatif de leur mouvement d’oscillation, autant dire qu’elles continuent – mais par d’autres moyens. J’aspire au Néant : à la vraie mort. Qu’un jour tout, je dis bien tout, tout s’arrête. Et qu’il n’y ait pas seulement un mot pour en témoigner. Au moment pénultième il ne restera donc que le mot " en ". Il faut qu’il soit habilité à effectuer le saut : un saut à reculons. Cette inversion de la machine la grippera de telle sorte qu’elle ne franchira pas. Qu’elle ne franchira plus – intransitif. La grammaire que j’ai toujours désiré édicter possèdera ce pouvoir d’arrêt net. A l’instant même où je m’apprêterai à poser le point, celui-ci par un rebond arrière, non seulement se posera de fait mais il ouvrira à la majuscule du texte qui aura été écrit. Que cela (ce texte, à titre de témoignage) reste quelque part, est une hypothèse fausse, car caduque. Le phénomène que j’aurai réussi à engendrer sera justement la caducité immédiate et sombrée.
Il me faudra, afin de mettre un point final à la logique de mon système qui aussi bien le lancera sur les fonds baptismaux de son auto-mouvement immobile et en absence, résoudre une énigme. Elle a trait à un concept de G.D., celui d’" Enveloppe ". Car je n’ai, à ce jour, pas encore réussi à démêler si cela qui enveloppe est aussi cela qui est enveloppé. Cela qui développe est-il ce qui est développé ? S’enveloppe ce qui est enveloppé ? Se développe ce qui est développé ?
Ma seule prière à l’Humanité adressée sera qu’enfin elle condescende à croire en quelque chose comme l’Intransitivité de tout. Pas moins.

AR XI Physique de la Patate - Suite et Faim


Bergotte se crut mourir d’une indigestion de patates, c’est à dire qu’il ne mourait pas. Mais de ne pas avoir vomi, autrement dit : rendu ses patates, elles lui restèrent sur l’estomac. Se sut-il alors en mourir ? il se crut mourir (peut-être) – de ce qu’elles lui restaient sur l’estomac. La vérité était tout autre mais il n’en mourut pas moins : " Un nouveau coup l’abattit, il roula du canapé par terre, […] . Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? ".
De la petite mort, du moins, se relève-t-on.
De sa mort Bergotte ne put rien savoir, pas même ce que le Narrateur lui supposa de pensée : le petit pan de mur jaune qui lui aurait livré sa vérité ultime, (celle de Bergotte), sous l’espèce d’une répétition, celle des mots mêmes qui désignent un creux : " le mur jaune ". Juste un palliatif, selon moi. La vérité sous sa qualité ultime parce qu’en date, chiffre, nombre, possible… parce que temporellement elle aura été la dernière. Cela suffit-il pour faire une vérité ? Oui – en domaine de Littérature. Franchissons le pas : le dernier souffle ne relève-t-il pas toujours de la littérature sous sa forme de " morceau littéraire ", à défaut de " morceau de bravoure " ? Bergotte connut donc la Grande Mort, la morsure impeccable qui emporte le morceau.
Je me rappelle avoir donné à lire à mon gars – à moins que ce ne fût relire ? certains détails je les ignorais et le cadeau que je lui fis là, il n’en parla pas, ne me remercia pas – l’extrait de " La Prisonnière " qui relate cette mort fameuse et prosaïque. Nous ne nous soulâmes pas à l’alcool de pomme de terre. Nous contournâmes le sujet. C’est dire combien, dans sa forme, ce sujet prenait de place : de relief, à l’image d’un corps dans son volume. La statuaire effective de nos relations : ce corps propre et nôtre (commun) qui s’interposait entre nous de toute sa solidité. La re-présentation d’un inter-dit. La représentation d’un interdit.

Un corps de femme était mort, celui d’une anorexique de quelque notoriété people, ce qui fit les choux gras des médias. Du moment où cela se sut, déferla dans le magasin toute sorte de larves qui venaient acheter le dernier livre en date, puis les précédents quand nous ne pouvions plus fournir celui-ci : stock vendu à toute vitesse, de la dite anorexique passée à un acte plus radical et plus rapide que le jeûne. Quand je m’étonnai de cette recrudescence soudaine d’intérêt pour cette auteure mineure, la femme à qui d’aventure je posai la question alors qu’elle venait en acquérir après d’autres le livre, car finalement j’étais intriguée. Me déclara dans un grand sourire de ravi qu’elle venait de se suicider. Je crus lui vomir à la figure.

Au soir, encore tourneboulée, je fis part de l’événement à mon gars en allant même jusqu’à mentionner ma réaction physique de haut-le-cœur. Je ne me rappelle pas ses mots mais leur enveloppe, sa réaction : il me coupa en deux d’un ton cinglant. Encore une fois j’avais commis la coupable faute de ne pas savoir, de ne pas connaître la signification " profonde " (il faut comprendre " psy ") de tel ou tel fait humain. Je fus donc punie sans savoir pourquoi. Je me sentis honteuse, et révoltée. Ceux qui tiennent les êtres humains pour absolument non-libres, déterminés, sont donc aussi les premiers à vous doter de la responsabilité pleine et entière, coupable de votre propre Inconscient. (Je suppose que cela représente, pour eux, une " sorte d’Humaine Hygiène " nécessaire, indispensable, presque suffisante, quelque principe à placer au commencement, au fondement de toute " civili-té " dans son possible, permet une aube d’Humanité). Ce qui donne parfois des absurdités, des paradoxes dans l’ordre de la pensée, des bêtises, des non-sens, des idées qui vont dans le mur. Et si telle de ces sommités qui ne " croit " pas en la Liberté (présupposer que l’on puisse " croire " ou non en ces domaines, n’est-il pas déjà absurde ?) s’accorde pourtant à reconnaître que nous décidons en toute chose, que nous " choisissons " ( ?), il le fait de telle sorte que " choisir " (qui engage la personne) soit du même ordre que le geste réflexe [de choisir] de saisir un couteau sur une table pour trancher sa viande. Il est facile aux paradoxes qui sont censés montrer l’absurdité humaine, d’être ce qu’ils sont quand on considère la légèreté avec laquelle est traité le langage.
Le paradoxe d’une fascination pour un suicide, en tant qu’elle (la fascination) " ne se sait pas ", selon quels facteurs relève-t-il finalement du paradoxe ? Lapsus : je voulais écrire " de la fascination ". Cela ne revient-il pas au même ? Et en quoi consiste la différence conceptuelle établie par ce lapsus ? " Mon cher gars, la balle est dans ton camp ! ".
(Je ne ménage pas mon homme ? Je lui rends sa position inconfortable ? J’admets qu’il ne doit pas être facile de faire face à une femme qui se pique de penser ; et qui en fait de penser, pense pis que pendre).

samedi 12 février 2011

AR X Physique de la Patate


Braises de dents que ce ravaudage où nous cousions bord à bord mais sans touche, la croisée des fers de paroles rivales. Nous causions, de choses et d’Autre, jusqu’à nous vriller le nerf de ne pas aller jusqu’à l’aboutir : mais toute de retenue était la règle – qu’en outre nous n’aurions pas su comment pouvoir enfreindre. C’étaient des conversations de bon aloi et de mauvaises pensées, des joutes animales quoique toutes en allusions mais si elles rampaient, à l’image d’un reptile ou d’un félin en alerte, elles n’en réussissaient pas moins parfois à faire le bond, jusqu’à la gorge de l’autre où implanter ses propres dents. Cela, beaucoup, a saigné et pas seulement artificiellement, je veux dire suivant un vocable en vogue : " virtuellement ", mais aussi par des crissements de mâchoires au dedans qui s’échappaient inéluctablement de nos bouches sous la forme de paroles perfidement suaves ; rendre à l’autre sa pièce, nous l’avons toujours fait, il nous fallait être quittes et ne rien nous devoir. Nous avons toujours payé rubis sur l’ongle. De ma main manucurée à la façon dite " french " je déposais dans sa paume un coussinet de billets doux : autant la baiser ; mais n’était-ce pas ce que jusqu’au moment de se régulièrement, quotidiennement quitter, nous faisions ? J’avais de lui usé. Rien nous n’avons respecté, de rien moins que de l’ordre de la règle en vigueur en ces domaines nous n’avons abusé. Il parlait beaucoup, moi de même. Je parlais beaucoup, lui de même. S’embraser par le verbe et torches, illuminer de vitriol la pointe à l’autre. Encore à ce jour et pour désormais, nous ne sommes pas indemnes.
Je ne relaterai qu’une anecdote qui, si elle n’a pas la vertu d’illustrer ce que je viens de dire dans son contenu, l’illustre néammoins dans l’une de ses vérités qui fit la vérité du tout, du tout de nos rencontres telles que relatées précédemment.
Alors qu’alanguie et devisant librement de ces choses des livres et d’une liberté aux éclats qui entière me ressemble et dans la foulée, m’assemble, je lui mentionnai ceci. Je bouquinais, Suzette passait. Je riais d’une mienne découverte sous l’autorité de L. W. qui se creusait la cervelle à tenter de donner un sens à quelques mots précisément, je cite de mémoire : que signifie d’avoir inconsciemment mal aux dents ? La chose est des plus comiques, souffrir en des domaines dont on sait que le médecin approprié nous met entiers à sa merci, livrés entiers par la bouche béante, mais avant que cela, ne pas avoir à s’y rendre car la Chose est inconsciente. Ou encore : souffrir par là où souffrir est des plus douloureux, et ne le pas savoir – que reste-t-il alors de souffrir, dont pourtant on est l’objet. Ou encore : s’il ne le sait pas, de quoi souffre-t-il alors qu’il l’a nommément située, sa douleur. Ou encore : etc… blablabla… blablabla… Je tournais la chose en tout sens, tordue de rire. Voulant partager ma joie, je happai Suzette qui passait. Je lui révélai la raison de mon émoi hilare. De son plus grand sérieux tout hygiénique qu’elle ne quittait jamais car elle était tout à fait sérieuse, elle m’annonça d’un ton docte (elle est fort versée en toutes les doctrines psy, de la plus courue à la plus ésotérique) : " et tu sais ce que signifie d’avoir inconsciemment mal aux dents ! ". Ma tête fit un tour complet de telle sorte qu’elle pût croire que j’avais fait soit le signe approbateur (menton de haut en bas) soit le signe dénégateur ( menton de gauche à droite), qu’elle pût croire en ce qu’elle attendait que je susse.
Ayant donc relaté l’anecdote au gars en question, car je ne m’étais pas remise de l’air soucieux de Suzette, car, vraiment, j’étais ébahie qu’elle n’eût pas souri : la chose, dans sa logique, était fort drôle et L. W. l’avait aussi écrite à dessein de rire, une chose d’absurdité confondante et énigmatique, d’un puits où le langage s’absorbe en lui-même à en faire éclater le conduit de terre. La réaction de mon gars ne fut pas piquée des vers, d’un air très docte et bruissant de sous-entendus, il déclara : " … et ce qu’alors elle vous a révélé d’elle-même… ". Ma tête ne fit aucun tour, comme j’étais en compagnie vraiment savante et non idolâtre, d’un connaisseur et non d’une amateure, je me rendis, et fermement, j’approuvai. Oui, ce que Suzette m’avait là dit d’elle…
Lui et Moi nous donnons du Vous. Que de pompes dans la distance, de telle sorte que lorsqu’il s’agit de la raccourcir, nous y mettons deux fois plus d’efforts : deux fois plus de souffle. Deux fois plus de bave. J’étais pantoise. Mais je n’en pensai pas grand-chose sinon qu’il me faudrait garder ce détail mystérieux en mémoire jusqu’à ce qu’une bonne âme toute innocence me révélât incidemment de quoi il retourne en des dents inconscientes dans leur douleur. J’aurais alors le fin mot de l’histoire mais j’avais pourtant, aussi bien décidé de laisser faire le hasard et de n’attendre que de lui l’occasion de la résolution du mystère.
Je me demandai, néanmoins et tout naturellement, cela que cet homme m’avait lui-même de lui par là révélé… Je le sus quelque temps après et n’en fut point surprise car cela, je le savais déjà. Ce qui m’avait manqué était le fin Mot de l’histoire dite " L.W. ", son éclaircissement me permit une " connexion " des idées qui, pendant un instant – lorsque je fus enfin " mise au courant " du dit Mot, évoqua à mon esprit quelques banalités du genre tel est pris qui croyait prendre.
Seuls mon ignorance et le délai que prit de résoudre, au hasard, l’énigme, donnent toute sa saveur vibratile à cette anecdote : car pour autant que je compris qu’il m’avait livré là quelque secret de lui-même, je ne savais pas quoi. Et lorsque j’en vins enfin à le savoir… Je le savais déjà. Sans doute n’est-il pas de ma part innocent que j’aie retardé aléatoirement, en misant sur le hasard, le moment de savoir en quoi il " s’était " et ce que il " m’avait " dévoilé. Et que je n’ignorais pas.
Dans le laps de temps indécis que j’avais fallacieusement laissé se creuser, se développa une mise en abyme où ma propre connaissance insconsciente de tous les tenants et aboutissants de l’histoire répercuta par un phénomène d’échos infini les mots mêmes de l’Enigme qu’elle allait endosser quand elle devait être enfin éclaircie. Je connaissais le secret classé X de cet homme mais ne dus qu’à l’infinité du mystère de tout être de ne pas faire le lien avec l’énigme proposée par L. W. Car n’est-il pas confondant et merveilleux que la seule petite goutte du nectar d’un océan entier de nous connue pour l’avoir goûtée, soit celle-ci même qui constitue le noyau dur de ce qui nous fait obstacle vers la connaissance de l’autre ?

vendredi 11 février 2011

AR IX Bondieuseries


Quoiqu’il en semble, il ne faudrait pas me tenir pour une humaniste à tout crin, enflée des bons sentiments qui me permettent à tout coup d’endosser la robe ou l’armure de défenseure des droits du veuf et de l’orpheline, de Croisée de la cause des Sarrasins issus des rives basanées, ou encore d’apôtre engagée auprès des corps félins noirs, des œillades aiguës des laissés pour compte du catastrophique éclatement chinois ou de la problématique révolution russe dans sa chronologie renversée (le pays ne semble-t-il pas entré dans un mouvement involutif ?), etc… etc… La bonne conscience ne m’effleure pas, je ne la cherche pas, je me venge : je suis, fondamentalement, une voleuse. Et sans risque, sans panache. Ma conscience me laisse en paix car j’en jouis, je jouis de l’étroitesse de mon acte quand je l’accomplis car il est, pour ainsi dire, toujours effectué à portée de main. Je veux dire : je ne sors pas du cadre familial dont je sais qu’il – le cadre – ne portera pas plainte. Cela constitue même un fil à ma patte qui satisfait tous les partis, les deux partis, celui de la voleuse, celui de la volée. Je ne sors pas de ma dépendance pécunière, attisée par le luxe que mon délit me procure. Sinon, je serais pauvre. Pour tout dire : en deça du seuil de la misère. Ma rente me suffirait seulement à payer mes rasades de gin vespérales. Je me couche toujours en état d’euphorie légère, tard. Le reste de la journée, je le passe à lire, écrire, dormir, déambuler et, quand nécessaire, je vole, ce qui ne prend pas de temps, un souffle, un soupir seulement : le caractère même du travail qui phagocyte la durée quelle que soit sa durée effective.
Une âme bien née dont je ne me rappelle pas le nom (si je l’ai jamais su) a dit en substance que toute pensée est vraie en ce qu’elle affirme et fausse en ce qu’elle nie. Belle pensée. Eh bien, mon corps de femme et de psychotique (ici, pour ce que je vais énoncer, les deux choses sont indémêlables) est " à l’intersection de toutes ces négations ". Qu’on le croie ou non il faut que l’on sache que tout ce qu’il m’a été donné de pouvoir développer en fait de pensées le fut sous l’autorité d’une Pensée dont je ne sais rien, dont je n’ai rien pris de réel au sens de scientifique, à défaut du nom parce qu’il est entaché pour moi des mystères des permutations, des chances, et de la Spéculation dans toute sa majesté, soit : la pensée quantique – dont j’ignore à peu près tout, sauf qu’elle donne permission de s’imaginer une pluralité des mondes.
Chaque instant me donne le souvenir de ce que je suis ; donnez-moi mille vies, mais je n’en aurai jamais qu’une. Car bifurquer à l’infini est compatible avec le trajet du fil (de l’existence) dans son unicité, cela même est une nécessité : nous sommes humains. Où " placer " alors le Possible sous son jour d’infinités de possibles – s’il reste sur le bas côté de la route ? Où ? Dans l’imaginaire.
Nous commençons à peine à rêver.
Nous, sujets de la Finitude, nous commençons à peine à rêver.
" Un langage peut parler ". De fait, tout langage parle, transversalement. Chacun (nous) raconte en contrepoint complémentaire des autres langages, le Réel : cette sorte de Vérité du monde que l’humanité s’est forgée. Dont elle a été forgée en croyant la forger. Nous sommes, à chaque instant, dans notre tout humain, l’aboutissement du monde, de l’Histoire. Que cela laisse entrevoir une finalité, immanente et " dans " une constance, n’est pas dénué de fondement – quoi que facile et simpliste que puisse sembler cette idée. Mais beaucoup moins facile est d’en expliquer le détail, les détails dans leur devenir. Mais arrivés à ce moment-ci, à ce stade d’Aletheia – de " dévoile-ment " – selon quelle sorte de principe (principe-moteur) devrons-nous continuer notre marche ? Quand tout se saura, qu’allons-nous, ensuite, pouvoir dire ? Je me vante ? Attendez voir. (Ne croyez pas, avec le titre de ce paragraphe, que je sois en plein retour à Dieu. La seule valeur que j’attribue au concept " Dieu " est sa vertu totalisante dans sa diffraction même : tout dieu se raconte, il s’explique, on l’explique – et de ce que cela nécessite du temps, cela le fonde, le temps). Je suis une athée féroce. Une fée rosse de la vérité comme falsification. Attendez voir – et vous ne pourrez pas, vous ne pourrez plus douter : ma pensée intègre, ingère jusqu’au doute : elle l’installe au pinacle. Je ne suis pas une sceptique car je doute constructivement du scepticisme.
Je vais Tout vous raconter. J’écris en français. Accomplissez ici, malgré tout, un acte de foi : croyez aux mots que vous " entendez ".

jeudi 10 février 2011

AR VIII « Roméo »…


… comme on dirait " Nuage ", ou : Aglaé-au-Nu-visage-vu.

C’est fou, c’est fort comme, à quel point, il se passe rien dans ma vie. Tout comme dans la sienne. Sans cesse à monter puis redescendre l’avenue, à la chasse, en chasse, en chaleur vers des chiennes accommodantes, pour ne pas dire serviles. Car comment condescendre à cet homme bas ? Comment écouter son ragout d’un discours de drague qui crie, qui sue, qui pue. La bêtise. Faut-il donc à ces femmes peu de sens, peu de ces sens qui sont la boussole du corps et qui en ont, donc, si peu qu’elles ne le sentent pas ? ! Qu’elles ne le dé-codent pas comme on pourrait, comme on se doit de dé-cocter un breuvage laid ; n’y a-t-il, en effet, pas à gagner de savoir à qui l’on remettra son corps, serait-ce le temps d’un lit ?
J’ai reconstruit, alors que dans ma méfiance je ne regardais jamais les hommes qui m’adressaient la parole du temps où j’étais jeune, j’ai reconstruit que c’était lui, déjà, qui m’avait abordée – je me rappelle encore cette scène où je me voulus (sans l’être des oreilles) bandée aux yeux, sur les marches d’un escalator dans un centre commercial ouvert de fraîche date – en me donnant ce qu’il crut devoir m’impressionner (il ne doutait de rien, il ne doute jamais de rien), cette parole : " Mademoiselle, savez-vous ce que signifie le mot FNAC ? ". Silence (de ma part). " Eh bien, cela veut dire : Fédération Nationale d’Association des Cadres. " Comme je conservais mon mutisme, après maintes tentatives, il finit par maugréer (il est très mauvais perdant) : " Oh, ça va, hein ! J’suis quand même pas un bougnoule ! ". Il bifurqua. Ceci est une stricte vérité, cela se passa ainsi, ses mots furent ceux-là mêmes. Avait-il incidemment tenté d’insinuer que, pour savoir cela, il était " cadre " ? Ou était-ce une brute entrée en matière ? Un mélange sans doute que je ne saurais analyser car, ce me semble, après plus de vingt années (mais oui) de chassés croisés dans les rues – qui se terminèrent radicalement – où je pus saisir, par les phrases glanées adressées aux victimes, phrases d’abordage comme de rupture : car son lieu est la rue, (et il parle fort), le vu et le su de tous, le lieu de l’anonymat en même temps que celui de l’" empreinte " (je m’expliquerai), où je pus saisir quel genre de personnalité il représente et a toujours, immuablement, représenté, il me semble qu’il se compose d’un unique ciment : l’instinct. Il ne pense pas, serait-ce par préméditation, à des fins de tactique de drague, il se lance. Il dégorge son inspiration dans une fièvre plate aimantée par le besoin de se fabriquer des proies : au sens où une femme qui condescend (je dis crûment : qui cède) devient une proie parce qu’un gibier conquis avec qui la nuit de baise n’est plus qu’une formalité, une formalité qui va " simplement " permettre, encore, d’étoffer le catalogue des chiffres – et non des femmes. Car, pour aussi complètement matériel (comme on a pu chanter, à l’opposé, " I am a material girl ") qu’il soit, c’est à dire " consumériste " qu’il soit, ce qu’il collectionne ce sont les abstractions. Je ne sais s’il tient un carnet en bonne et due forme mais, selon moi, le " travail de la liste " lui est essentiel : nourrissier. La liste " le travaille ". Cet empilement de corps allongés constitue un sol de matelas, de feuilles en matelas, de feuilles de matelas qui lui font un piédestal où se hisser vers des sommets absurdes. Mais il ne ressent pas le petit pois faufilé à la base, entre le sol et la première couche.
Il ne se passe rien dans nos vies car nous avons longtemps croisé nos marches mécaniques : moi qui déambulais, lui qui chassait. Il m’aborda quelques fois et toujours sans succès, et la fois la dernière fut épique. Parce que j’avais souri – cette constance dans nos rencontres de maraudeurs me portait à l’amusement, à la dérision intérieure, j’avais souri pour moi – il le prit en bonne part, et m’adressa en retour son sourire de carnassier (la seule chose attrayante chez lui), au coin d’une rue. Il s’avéra plus collant que d’ordinaire (il s’était cru encouragé), je n’eus pour l’éconduire que ces mots : " mais depuis le temps que vous vous risquez à moi, n’avez-vous donc pas compris ? Foutez-moi la paix ". Le " depuis le temps " fut un renvoi d’aigreurs à sa mémoire : oui, avec moi, il connaissait l’échec. Coup à l’estomac de son amour-propre. Il se gonfla alors le jabot comme un moineau qui passe à l’attaque et cria, afin que tous entendent, il cria sa gifle qui tomba comme un cheveu sur la soupe mais, enfin, il fut entendu et entendu dans le ton d’une voix méprisante qui cinglait : " Non mais quoi ! qu’est-ce que tu crois ?… Tu es vraiment une fille bas-de-gamme ! ". Le mot était dit. Ainsi sa collection de chiffres révélait son vrai visage, les visages de ses chiffres entassés : une collection de choses. Et je ne dirai pas d’" objets " car ce mot ne suffit pas. Car une chose peut être un objet, mais une " chose ", plus généralement, touche à un domaine vaste, dans son sens, sa définition et sa signification, où maints penseurs se sont cassés les dents. Lui aussi aurait pu tenter l’aventure d’une mise en définition d’une " Chose " si, toutefois, passer de l’acte de ronger l’os à celui de la conceptualisation n’était une impossibilité de fait, une contradiction dans les termes, dans ces termes que je viens de donner : " chose ", " acte ", " ronger l’os " et " concept(ualisation) ". Le fossé qui sépare, notamment, " ronger l’os " et " concept " quand il s’agirait, dans un acte, d’établir entre ces deux faits une interface réelle, un pont sous l’espèce de la Chose, relève de l’abîme : dont les falaises qui le matérialisent entre, dans sa dématérialisation-même d’abîme, ne se correspondent pas même selon le monde. A une différence de monde correspond une différence de mode. Cet abîme-ci réclame un saut qui n’est pas de l’ordre d’un passage. Mais du retrait ; du modeste retrait. L’imagination en occupe toute la place.
Et de toute imagination, cela tombe sous le sens, Roméo est incapable. Il drague, cela lui suffit, les femmes sous leur robe de choses lui tiennent lieu d’ailleurs. Je ne crois pas qu’il rêve jamais. La définition d’une chose qu’à la rigueur l’on pourrait lui concéder, la définition dont on pourrait le reconnaître capable consiste en une " Chose-chose ", ou la chose redoublée selon un singulier principe : celui du rêve qui enferme. Il n’est pas un rêveur d’Horizons. (Les étrangers par l’exil ou l’estrangement lui renvoient une image de la misère qu’il méprise car il en partage l’aspect matériel pur. Il ne roule pas sur l’or et doit se confronter chaque jour à l’immigration par la localisation même, celle de son quartier de résidence. Il leur en veut à mort de signifier implacablement pour lui, à sa place, son a-topie radicale. Il ne leur pardonne pas de lui montrer son Lieu, un lieu qui est aussi le leur quand, eux, l’ont gagné et que, lui, y est parvenu par la perte. Pour certains, la nécessité d’" avoir " – presque au sens de " posséder " – des êtres au-dessous d’eux, des inférieurs, est vitale. Et de façon à ce que cet état de fait soit bien assuré, solide et pérenne, ceux-là les regrouperont dans une " classe " : inépuisable dans son nombre et sa réalité, autrement dit un ordre, un groupe, une communauté, une origine, une appartenance… un groupe " désignable " : quelque chose d’immuable dans sa reproductibilité même).
Le véhicule clinquant, le moteur huilé de ces orgueilleux les propulse dans une supériorité de principe qui témoigne, en vérité, de la bassesse d’un complexe d’infériorité ou d’une haine de soi dont ils ne parviennent à se sauver que par une sorte de messianisme à rebours. Ceux-là croient au Chef rédempteur trempé dans l’acier. Roméo participe à et de cette croyance de la même façon que ceux de toute sa clique : par défaut. (" Combler un manque par un coup de tête "). Par haine.
Le roi est (mis à) nu – par ses célibataires, même.

mercredi 9 février 2011

AR VII « Je forme et transfigure ». Z. W.


Le ciel se drape, à en étouffer toute lueur d’ailleurs, plus rien ne passe. La nuit, la pluie qui vide la ouate sans en dégonfler le moelleux, la ouate dont le ventre traîne encore à portée de vue malgré la nuit, parce que sourdement grise et opaque elle rayonne obscurément par ses convexités potelées où rebondissent les éclairages dérisoires des lampadères, la soirée est intime, chaque élément de ce qui compose le décor est proche. La pluie est froide, il n’y a pas d’horizon, surtout pas celui des étoiles dans le grand vide nocturne, le vide est bouché. On perçoit encore les couleurs – par leurs contraires, dans ce régime de noir plein, tout bascule. Je marche sur la tête. En évitant les flaques de colle de la boue. La pluie consiste en une démultiplication de cordes sonores et vibrantes, il n’y a plus d’espaces pour l’espace, plus de soupir pour le temps, le temps, celui des intempéries, occupe tous les interstices, le Possible s’est refermé, il entraîne dans sa mise en berne l’Impossible, mais je respire encore. Il ne m’est pas moins impossible de vivre mais les histoires que je veux raconter doivent encore descendre d’une marche (et peut-être plus) et, alors qu’en marche, je soulève le limon, le fond est râclé, la poussière dense évolue pour retomber, aimantée dans sa chute empesée. Une succion par un creux ignorant de lui-même, aspire la matière soulevée et l’invite à en re-venir à une immobilité déterminée, la poussière est modelée aux fins d’une forme qui ne se connaîtra que par tout ce mouvement remuant la pâte, remuant la gangue. Nous sommes ici dans la fange d’un courant puissant mais en suspens, le mouvement n’est pas d’écoulement mais de façonnement. Un texte se sculpte. Il émergera à la surface de la page, à la lisière du vide et du plein, entre le corps et le lieu de l’air. Dans le Temps et dans l’Espace, quand l’espace du dedans est dévolu au temps en tant qu’il est le temps qu’il fait. La météorologie du corps est le phé-nomène de l’Ecriture même.

Me rappelant le Mot de Raymond Devos qui décrivait les trous noirs cosmiques comme étant " des trous avec rien autour ", j’ai voulu, à mon tour, donner une définition, celle de quelque chose qui tombe dans son contraire tout en persistant, ne serait-ce que par son appellation, dans ce que nous connaissons de lui : son nom, donc, un simple mot, un nom commun dont il ne vient, ce quelque chose en révolution, malgré tout, pas contredire le sens, il semble même le compléter selon un bord, selon un monde qui ne se suffirait plus à lui même tout en se parachevant par ce fait. Ainsi, je propose, à titre d’hypothèse (sous un caractère de définition) :

" Nous convergeons vers la même densité centrale : l’horizon. "

[Ce plaisir que l’on dit charnel ; cette voyelle que l’on dit muette. Mute I am, that is for sure. Une mouette, toute dans le jeu de voler. " Eux ", ils furent sans fin la Trace d’Hymen à rompre.]

mardi 8 février 2011

AR VI « L’Infini se laissait pousser comme une porte ». V.H.


N’est-ce donc pas assez que nos corps respirent, autrement dit qu’ils soient ces " choses " à vivre et de vivre, ces objets de désir et ces buts à maintenir, ces " objets " en ce que nous nous en détachons du fait d’une pensée qui en dépend dans sa formulation même, ces formes qui nous contiennent, dont nous débordons et hors desquelles il n’est rien – il n’y a rien, à commencer par soi, qui n’aurait alors pas seulement l’idée de dire ce " nous ", voire ce " moi " de toute la fable inchoative des discours. Il faut, donc, encore que je le nourrisse d’aliments autres que ceux de la sorte du carburant, de ce carburant qui entretient matériellement la machine, ou supposée " machine " (car, lui adjoindre une âme dépend du point que l’on adopte sur sa vue, cela ne devrait pas obérer que machine, il est – peu importe qu’il le soit selon une perpétuation de principe perpétuel ou éternel, ou même infini). Il lui faut, aussi, des mets plus inutiles quoiqu’indispensables, des mets volages et volatiles, des mets superflus qui donnent le goût de vivre. Vivre ne suffisant pas.
[La plus simple considération intellectuelle s’étonnera que la vie commence avec, par son excédent. N’est-ce pas là mettre la charrue avant le bœuf ? Serait-ce selon ce mode de construction que procède le mouvement ? Si je dis : " la machine procède de ce qui la conditionne ", ce qui revient à dire que l’on bâtit toute chose en suivant un but, une idée, une ambition, il n’y a rien là que de très banal, normal, logique – humainement historique… C’est voir en l’excès la mesure de la Raison, pourtant… Mais tout ceci pourrait bien n’être que logomachie].
Je parlerai donc, ici, d’un excédent qui fait office de principe fondateur, de cause première – quoi qu’en tordant la chose, comme j’aime à le faire en tout. C’est à dire que relativement à ce nabot calvitique et légèrement ventripotent, il n’est pas de naturalité qui soit une conséquence : de cette façon que cette conséquence n’a jamais connu sa nature de con-séquance : son élément (celui qui le détermine objectalement et, dans le même temps, en lequel il trempe) n’a pour cause générative rien qui se détache comme cause : il (le nabot) fait corps avec sa cause, ou cause avec son corps. Sa manie, son obsession ont un tel cachet de nécessité qu’il faudrait, en vain, de véritables for-ceps pour écarter, écarteler, et croire trouver une enveloppe extérieure à ce qui constitue sa nature. Autant dire qu’il semble épouser la Nature (la Création) entière, tant il a peu, tant il n’a pas d’extérieur, d’externe à soi, de dehors. Et " épouser une cause ", serait-ce sous la forme d’un corps, n’a rien que de hautement dérisoire pour ce qui le concerne. C’est un dragueur sans échéance. Un dragueur sans conception du mouvement quand le mouvement dont nous nous " détachons " apporte la conscience ; un dragueur sous le niveau de l’eau, bel et bien dans l’Ô plus que par dessus la tête, et qui plus est un dragueur qui n’aime pas les femmes, un collectionneur de chiffres, un faux Dom Juan, un vrai tripoteur, un propriétaire. Il a de tout temps épousé sa cause : il ne se différencie pas de sa forme – de sa forme à lui. Je vais faire le portrait d’un homme mesquin.
On n’y distinguera pas le superflu du nécessaire. Non pas que tout tombe dans le superflu : ce serait là par trop un monde, un Lieu de noblesse que son corps pour cet être quelconque dans le trop du quelconque. Mais tout, en lui, en vertu de sa nature, tombe dans le nécessaire. Sa drague lui est un jeu sans concession, une fièvre, un film dont il n’a ni le son ni l’image. La photographie pornographique il ne la voit pas, il la regarde et hormis ce qu’il voit, il ne comprend pas. Il est un rat pour un trou-monde. Il est le Rat : ce qui comble et ce faisant, comble le manque (le sien), il a donc quelque chose de divin, mais juste un " quelque chose ", c’est à dire que s’il n’épuise pas à s’épuiser, la Relance de ce qu’il est, est cela même qu’il est : l’idée du mouvement si l’on pouvait envisager qu’une idée (celle-ci) soit dégagée de tout son caractère d’abstraction. Il n’est pas tout à fait la vase dans son mouvement de dégagement vers la vase, mais la poche quand elle fait vase. L’Idée devient un " quelque chose ", elle se réifie au contact de son énonciation, lorsque l’on annonce : " un homme mesquin pour lequel aucune idée de nom ne (me) vient " ( – donc " que je ne sais pas nommer "). Ou : le concept de " Petit " lorsque l’on n’a pas pour habitude d’en qualifier un Priape (dont la " membrure " n’est pas en cause). Il est une chose, une, en tant qu’elle ré-siste.

lundi 7 février 2011

AR V Le coeur anatomique


[Pour n’en pas finir avec Fafa Nouille, je me rappelle l’avoir vue coucher sa joue sur son épaule dans un grand moment d’attendrissement sur elle-même, en prononçant ces mots : " je suis fleur bleue ". Il y a fort à parier qu’elle ne lut jamais et ne lira jamais le roman de Novalis où la fleur bleue trouve sa genèse, une naissance noble et raffinée qui s’est affadie avec le temps dans cette revendication, il faut le dire, le plus souvent " féminine ". Quoi que le gars de l’anecdote, selon moi, ne fût ni fleur bleue ni fleur jaune, sans gilet de couleur percé à l’endroit du cœur de l’impact rond d’une balle de pistolet, je veux croire qu’il n’était, pas plus que F., un dragueur invétéré, mais pas non plus ce genre de fleur aux reflets d’azur dont les femmes se parent avantageusement dans un grand mouvement d’auto-congratulation, dont elles se gargarisent, du moins celles qui, paradoxalement, n’ont pas le sens (comme on dit le " sens commun " même si ce sens dont je parle va à l’opposé et constitue un " sens fin ") de ce que peut être une relation amoureuse ; pas plus que ces femmes, cet homme, et avec lui beaucoup d’autres, pas plus qu’elles cet homme qui s’était lui-même, par avance, désigné à la prévisible vindicte de F., n’a le sens du sentiment d’amour. Pourtant, s’il n’abonde pas dans le débordement de l’auto-satisfaction, celle de l’Intimité à soi-même désignée comme telle narcissiquement, il touche à une prétention qui, si elle " apparaît " – comme moins sentimentale, n’en est que plus vaniteuse. Ne se flattait-il pas de grands livres traitant du Sujet des sujets ? Simplement, ces femmes " fleur bleue " n’ambitionnent pas la Valeur telle qu’elle se décore de grands mots verbeux. Elles savent qu’elles doivent se confiner, elles veulent se confiner dans le " Petit ", ce nid si chaud à force d’exiguïté… Et si cette métaphore semble " naturelle ", cela ne va-t-il pas de soi ? Ne savons-nous pas, toutes et tous, qu’il nous faut nous en tenir aux images " naturelles ", à moins que ces images n’aient de naturel que l’habitude ? ou encore, un caractère antédiluvien : primitif, pré-historique qui n’en finit pas de façonner l’Histoire dans ce qu’elle a de plus moderne, de plus présent, actuel, contemporain (aussi : ces derniers adjectifs sont-ils vraiment " justes ", " fiables " ? – véridiques ? ).
Ces fleurs pimpantes aiment comme un maçon monte un mur brut : avec des briques massives et du ciment sans apprêt, et s’en contentent comme d’un château. Elles s’en " contentent " et se flattent d’avoir bâti tel échafaudage dont, il est vrai, l’équilibre instable a tout du miracle. Non pas que le sentiment amoureux doive être éternel ou parfait, pour qui que ce soit, il n’y a aucun devoir, ni aucun dû à cela. Je qualifie les amours sentimentales de miracle instable parce qu’elles reposent sur la mauvaise foi, sur l’art de se tromper soi-même toujours d’abord.
En engageant des affaires sur des mensonges aussi criards, Mademoiselle Nouille, tout comme le " Jeune-Echevelé par la grande tempête du sentiment Noble, dans les livres " – elle sait, et il sait, qu’ils ne satisfont que des pulsions, par ailleurs tout à fait naturelles et louables de par cette naturalité d’une certaine santé supposée (tant psychique que physique) (et même si cette santé n’y est pas), aussi ne devraient-ils attendre plus. Ils attendent, toujours, de fait, toujours plus : on espère toujours dans, en la facilité. Car ! N’y aurait-il pas du merveilleux à ce qu’une affaire aussi platement, aussi indifféremment engagée débouche sur l’avenue royale de la Passion ? L’illusion fondamentale n’est-elle pas, là encore, le Naturel, le Simple, le Facile de l’Amour fort ? (que de majuscules…). Alors même que l’on ne cesse de gloser sur la complexité du sentiment, on croit à la force du sentiment qui empoigne et rend au monde les couleurs tranchées où tout se choisit de soi-même.
" Sentimentalité " est l’exact synonyme de " Pornographie " et je ne trace pas par là, je ne découpe pas les territoires respectivement attribués aux femmes d’abord, puis aux hommes. Cette différence-ci n’a plus cours et si les unes et les autres continuent à corroborer des schémas caricaturaux, les unes commes les autres se gargarisent, et les unes comme les autres passent aux actes de la façon la plus crue. Ce qui demeure est un " écart des mots ", certes encore dans une efficace indéniable. Sous le coup d’un poids qui fatigue (" fatiguer la salade ") et qui pend du cou, nous nous courbons, recourbons vers le sol, courbés en dehors.
L’Illusion comme la Désillusion partagent les deux sexes dans une absence de différence, dans une absence de partage où l’on se répartit le bête enthousiasme et la rapide déconfiture. Lorsque F. Nouille tint son discours de raison au grand gars, je me plais à rêver qu’elle le fit en voyant danser sur un transparent flottant entre leurs deux corps ennemis, l’image de leurs deux corps appariés dans la chaleur, et que remontèrent à leur souvenir les détails anatomiques de l’autre. Dans cette surimpression plusieurs mondes se jouent, plusieurs mondes jouent, qu’ils ont dû croire n’appartenir qu’à eux deux, et à elle sur le mode de la délectation vengeresse (la finitude n’a-t-elle pas tranché, retranché la bleue fleur du jardin de Fafa, du moins dans le sens où l’aventure n’aboutit pas : un petit, nouvel échec qui renvoie toujours au refus de voir la réalité en face qui s’impose pourtant ?). (Et quel genre d’échec cela constitua-t-il pour lui ?). Pourtant, parce que j’écris, la délectation suprême est pour moi et moi seule. Je m’infiltre, je m’insinue dans les plis humides et sombres et cachés et dérobés, communs, qu’ils n’aimeraient pas voir dévoilés. Mon plaisir est là. Dans la dissection – dans la dissexion.
Choisir d’abdiquer en se laissant mener par ce qui entraîne ? – mais non, il y a toujours cet indescriptible, cet insoutenable effort à faire. Il faut vouloir l’amour avec sa charge et vouloir ne pas se faire illusion, serait-ce en croyant que l’on fournit un effort en prenant au sérieux le désir par la (dé-)monstration. Jouer est autrement plus difficile. Il ne s’agit pas de se jouer la comédie du sentiment ou, plus simplement, du désir, par exemple en remuant le ciel et la terre d’une librairie à la recherche de façades jolies : des titres et des couvertures de livres flatteurs (parce qu’un livre, c’est ce qui tombe, ici, le plus facilement sous la main), mais pour jouer il faut jouer. D’emblée verser du sel sur la plaie. Comprendre que l’on ne s’arrêtera pas aux coups de fouets et que l’on enchaînera coûte que coûte. Pour jouer il faut une méchanceté de base qui piétine la bêtise, la spontanéité se fabrique, elle s’apprend et aucun artifice autre que le rêve longuement prémédité ne saurait nous conduire au succès qui intègre et incorpore l’échec et la finitude mêmes de tout rapport. Il faut partir perdu(e) tout en se sachant gagnant(e) de ce que l’on perdra, encore, en plus. L’artifice n’est pas dans les bons sentiments car ceux-ci ne sont que ruine de l’âme et vengeance mesquine, échec de fait parce que l’on s’entretient dans le chimérique. La ligne n’est pas droite qui sépare le jeu du jeu. Tous les amants se doivent de jouer, tous jouent, mais seuls jouent ceux qui se veulent méchants sans la sanguinolence du Sacré Cœur.
Il faut savoir jouer le cul pour le cul, l’illusion pour l’illusion et l’amour pour l’amour. Tout se tient.]

" …
Elle s’occupe aussi des choses de la terre,
Car la feuille du lys est courbée en dehors.
… ". V. H.

dimanche 6 février 2011

AR IV Affirmation de l'Affirmation


(Mettre le langage en coupe dé-réglée). Ou l’Histoire de Fafa Nouille.
Parce que broyer c’est agir quand agir c’est écraser, Fafa Nouille qui moud entre ses molaires un chewing-gum à la chlorophylle à longueur de journées, distille son haleine et ses ordres ; elle gesticule face aux subordonnés comme le gendarme qui règle la circulation. Ça déménage, en cadence, un vrai pantin animé de chocs brutaux aussi inflammatoires pour les oreilles que des jets d'acier. Un acide, cette fille. Une autoritaire sans arrêt de mauvaise humeur. On le comprendra facilement : elle ne s’aime pas, et elle en passe le souvenir qui ne cesse de se régurgiter à sa conscience, sur autrui qui doit filer doux ; hocher la tête, et subir. Elle est vulgaire, s’en accommode, de cette façon qui ajoute à son aigreur. Au demeurant elle aime rire, fumer, baiser, jeûner, parler, crier, et marcher au pas de son énergie débordante dont le seul exutoire – on tourne en rond – consiste à broyer : mâcher, c’est à dire passer à la moulinette d’un intellect creux, toutes ses réflexions qu’elle impose en tapant du pied et en soufflant. (Retournez la boite, ce jouet pour enfants d’autrefois, et la boite meugle : Fafa soupire comme une locomotive). Elle est exaspérée par la " médiocrité des gens ", elle souffle, ça soulage mais aussi, elle le sait, signale son impatience, constante, et met autrui dans la fièvre d’obtempérer : il vaut mieux éviter les débordements de cette vase envahissante.
Elle enfile les amants. Cette aptitude au mauvais goût de la part de certains hommes me laisse perplexe car si cela signale une perversion (et une jouissance), elle est bien pauvre et doit consister en cette perversion polymorphe des immatures. Et je n’aurais jamais cru ça de la part de ce grand et beau gars au teint bistre et à la chevelure frisée qui l’attaqua un beau jour par (nous étions dans une librairie) : " Et si je lisais tous ces livres, il désignait – excusez du peu – quelques volumes de Shakespeare exposés là, croyez-vous que je pourrais y trouver votre prénom ? " Ce qui lui valut cette réponse : " Mais croyez-bien, Monsieur, que mon prénom n’est un secret pour personne ". ( A l’image de son cul…).
Ils furent amants. Elle me le dit sans le raconter, tout en m’ayant raconté auparavant comment il l’avait abordée ; mon commentaire : " c’est original ". Je ne sais ce qu’elle pensa de mon commentaire et moi, pas plus. Je puis être pince sans rire sans même me pincer pour ne pas rire, je ne savais s’il fallait rire de son entrée en matière mais la course dans laquelle ils s’engagèrent ensuite m’amusa. Pour une nuit et une seule de cul, je les avais vus la veille au soir arpenter la boutique et la mettre sens dessus dessous pour trouver d’ " élégants titres " relatifs au sentiment. Et, de fait, ce jeune homme était un vieux client toujours à la recherche de quoi que ce soit comportant dans son titre le mot suprême. Je l’avais remarqué. Aussi, l’issue provisoire, occasionnelle de cette quête me sembla des plus cocasses. Aujourd’hui encore je ne sais pas dire ce que représentait, pour lui, cette mystification qui avait peut-être, pour lui, tous les accents d’une vérité intemporelle. Mais comment ?
Mais vint un jour de revanche. Alors qu’ils continuaient à s’accorder un amical baiser sur la joue quand l’homme revenait à la librairie, celui-ci, vieux client, ce jour-là, avait oublié sa carte de fidélité. La caissière qui en voyait tant et tant, lui asséna qu’elle ne le reconnaissait pas et ne pouvait donc, pour l’achat du jour, lui accorder la remise. Il s’emporta et fut diplomatiquement dirigé vers la directrice de la boutique : Fafa, qui était montée en grade depuis quelques mois déjà. Elle lui tint un discours courtois et froid, lui exposant que la caissière "en voyait tant et tant " et que l’on ne pouvait lui en tenir rigueur. " Nous allons valider votre ticket de caisse, et la prochaine fois, lorsque vous reviendrez avec votre carte de fidélité, la remise de l’achat d’aujourd’hui s’ajoutera à celle de cette prochaine fois ". " Croyez bien, Monsieur, que nous faisons tout pour satisfaire la clientèle ". Point final.
J’assistais à la scène depuis le bas des marches, sous le bureau de Fafa. Je ne peux que m’émerveiller d’avoir su être aux points, aux instants névralgiques de cette affaire. Je l’avais vu parler à Fafa Nouille pour la première fois, elle m’apprit peu après le contenu de leur échange. Le lendemain, j’eus sa " note de chambre " (je veux dire, bien sûr, la notification que " ça " s’était passé). Et quelques semaines plus tard, donc, ce dénouement, dont, pour moi, tout le sel, s’avéra de percer à jour dans quelles délectations Fafa se trouvait et se roulait lorsqu’elle lui tint ce discours de raison. Son discours sur le raisonnable. J’imagine qu’elle s’en fit – qu’elle se fit du gars – sur le moment, la pâte molle qu’elle aimait à concasser en dégageant les vapeurs tièdes et douceâtres dont, alors même qu’elle l’écrasait matériellement, elle le nimbait tout entier. Il lui faisait face, debout devant sa Majesté assise qui négligemment ouvrait du courrier en s’adressant à lui. Est-ce ainsi que cette femme vit ? La reconnaissance pour une nuit où livrés l’un à l’autre par le plus intime, par le plus chaud, par le plus secret… se traduisait donc ainsi ? Car je suis prête à parier ma main droite que jamais ils n’eurent et n’avaient eu de sujet de récrimination, de ressentiment, l’un envers l’autre. L’affaire avait si vite fini. En tout cas, je veux le voir ainsi, je veux voir ainsi que pour certains hommes et certaines femmes, la reconnaissance du don de soi que fit l’autre, peut se payer d’une gifle qui donne l’occasion de reprendre ce que soi même l’on a donné. Elle se dégageait de ce qui, a posteriori, semble toujours avoir été une défaite : le fait de s’être rendu(e) à l’autre. Ils ne se devaient plus rien, et même, Fafa Nouille se retira d’un échange terminé longtemps auparavant, avec un gain certain, celui de l’orgueil.
On pourra toujours tenir tous les discours moralisateurs que l’on voudra, la seule raison valable de ne pas commettre une mauvaise action provient de ce qu’une mauvaise action est toujours entachée de bêtise : de mauvais goût. Cela se ramène peut-être à une question d’orgueil, là encore, mais surtout à une question de conscience. Comment vivre quand cela (vivre) me revient sans cesse comme un paquet d’embruns sur la joue : ce que me renvoie le vent quand je le lui ai jeté.

samedi 5 février 2011

AR III Diabolo Mante

Tout C.R.S. est un personnage ubuesque, doublement s’il ne se prend pas au sérieux : c’est qu’il charrie dans ses veines un sang affecté de la double ration d’Alcool-de-Jarry. Mais il ne faudrait pas le croire par là accessible à la dérision, au contraire ce double saoul possède le sérieux au carré. " Ne pas se prendre au sérieux ", lorsque ceci s’applique au flic botté, casqué, armé des remises au pas brutales, au flic de l’affrontement par gaz lacrymogène (du genre " lacrima christi ") ceci renvoie à une dé-prise où l’on rattrape le " truc " par torsion. Faut-il être vicieux ! Car, dans les faits et actes, dans les pensées, les siennes qu’il a pour ne pas les avoir, pour les avoir re-mises, pour s’en être dé-mises parce que l’on renonce au vêtement de la décence en arrivant chez le médecin (on pend son pantalon au porte-manteau), le C.R.S. représente et constitue l’Essence du Sérieux. En être dépourvu, pour lui, n’a aucun sens mais alors, pas plus que d’en avoir – d’en avoir un. Il est le Sérieux. Cela est risible à l’infini. Mais lui, le C.R.S. peut, de tout rire, même de ce qu’il est car il ne l’entendra pas, ce qu’il est, justement en ce qu’il ne l’entend pas. On pourrait dérisoirement traduire la chose par : il ne L’a pas parce qu’il L’est. On s’interrogera donc sur la jouissance du C.R.S… (à d’autres…). (C’est facile ?). Il est le Bâton-de-gendarme du Pouvoir : en un corps qui vit et respire une chose, un Objet. L’objet. Et un moyen. Il revêt sa fonction. Il endosse, lorsqu’il accouple, l’Ordre dont le propre, pour lui, est qu’il (l’Ordre) ne se discute pas. Il existe donc des êtres pour lesquels l’Ordre peut être quelque chose d’absolu et d’objectif (au point de pouvoir remettre en cause le commandement " tu ne tueras point "). Ce qui donne à penser que parmi tous les mondes possibles, il en est au moins un dont le dieu règne – et qu’il gouverne va sans dire puisqu’en ces deux mots s’établit une différence dont la disparition, voire même l’inexistence, signifie ce monde (des C.R.S.) dans sa différence.
De quoi " C.R.S. " est-il le nom ? (Un nom autre que " Dada ").
[Mon propos est de traquer le langage justement en ce qu’il s’applique et, qu’en ce qu’il s’applique, il détermine. Au risque des bavures – d’encre. L’encre peut arbitrairement faire tache d’huile : il suffit d’y être disposé(e).]

vendredi 4 février 2011

AR II La Poison


(Je conseille de repasser tout mon vocabulaire au fil de l’épée : au filtre du rasoir étymologique). Madelaine Poisson ; sœur femelle d’une Francisca Pouète, celle-ci qui s’ignore dans ses qualités, en substance, de poix ou de plomb fondu ou d’huile bouillante qui refroidissent toute velléité de distinction (" vous êtes bénie entre toutes les femmes ") par le geste d’une brûlure diaboliquement appliquée sur la brûlure ; Madelaine Poisson en refroidit plus d’un. Tant au propre qu’à la figuration : quand elle apparaissait sous le jour d’une voluptueuse perruque à longues boucles blondes, cette vendeuse en librairie de talent (tu es une " sacrée " vendeuse), d’ailleurs son nouvel employeur – une chaîne de livres – ne voulut pas la lâcher malgré son âge, cette vendeuse se signalera toujours par le verbe déclamatoire de sa vulgarité racoleuse : elle vante les ouvrages qu’elle espère placer. Elle lisait, donc, cela va de soi, beaucoup, des romans – exclusivement. Son précédent patron (un petit gros nostalgique du pétainisme) déambulait encore entre les tables de livres en maugréant et en se déclarant victime de tout, sans geindre autrement que par accusations, se plaignant notamment de ce qu’il fût ce qu’il était et que tous ignoraient, se débarrassant par là de toute la Faute qui se devait d’appartenir exclusivement toujours à autrui par celà-même qu’autrui se contentait d’être : parce qu’autrui se contentait de vivre ; ce patron l’avait à la bonne pour son bagout mais la méprisait – comme il le faisait d’avance à l’égard de chacun autour de lui : " on ne sait jamais… " (ça peut servir, il faut s’avérer prudent). Il sut si mal s’accommoder des temps modernes, qu’il fit faillite et dut vendre. Madelaine Poisson demeura poissonnière et continua à vendre la même marchandise au chaland sous la gouverne du successeur qui l’estimait, avec tous les égards (relatifs) dus à ce qui n’est qu’une employée – mais quand même (vous êtes une " sacrée " vendeuse). Toutefois, beaucoup n’étaient pas dupes de sa culture de souillon : sa voix, déjà, annonçait la couleur. Il fallait être vraiment nul pour condescendre à sa nullité. Beaucoup s’y laissèrent, aussi, toutefois, prendre. On croit ceux qui savent raconter les histoires.
Du temps du gros (le pétainiste) la boutique avait pour adresse le mitan latéral d’une place habitée d’un jardin, de voies de circulation, de trottoirs et d’un bureau de poste. Au pied d’un parcmètre, face à l’entrée – ou plutôt, à la sortie, se tint pendant les quelques derniers mois de fonctionnement de la librairie dans sa version passéiste, un homme d’âge indéfinissable, abîmé et pratiquant la dive bouteille, du rouge. Il avait pour qualités supplémentaires notoires d’être borgne et d’être maghrébin. Il faisait la manche, espérant glaner la pitié de ceux qui quittaient le lieu. De fait, il gagnait correctement pour un mendiant. (Le Livre donne-t-il l’humanité ou la mauvaise conscience ?). Ce qui valut à la Poisson de faire une remarque fort peu élégante au sujet de cet homme, adressée au patron – et il n’y a pas à discuter si elle la fit pour s’en attirer des grâces, au demeurant toujours condescendantes de mépris précautionneux (préventif), ou bien si elle donna le fond de sa pensée de telle sorte que l’on put y voir toute son âme. Sans doute les deux hypothèses se fondent-elles ensemble, s’entendant comme cul et chemise, à l’image de ce rapport de Maître à Esclave, où l’Esclave peut ne pas mâcher ses mots à l’occasion, tout en sachant parfaitement jusqu’où ne pas aller trop loin (encore qu’ici ce genre de remarque ne choquait pas le patron, bien au contraire). La décence appartient en tout point à l’obscénité, en l’espèce, celle de la Poisson. Elle jeta avec dédain, parce que l’" arrrâbe " gagnait bien, sans travailler (Ah ! ce point d’achoppement du Travail où se justifient toutes les bonnes gens qui ne savent pas trouver d’occupation, de direction, de Raison propres à leur existence et qui revendiquent ce qui leur est imposé à titre de dédommagement pour leur inanité), que " s’il suffisait de se crever un œil pour ramasser des mille et des cent… ". " Et moi, si je me crève un œil vous croyez qu’ils me donneront autant ? ". Le " ils ", il faudrait l’analyser en profondeur pour établir les découpages d’une distribution platement politique qui, cela s’entend, va dans le sens de la remarque entière du moment qu’elle dépend de ce que la Poisson avait lu de l’origine, flagrante pour tous, du mendiant. Comme de surcroît il était borgne (les malheurs sont le plus souvent considérés par d’autres comme des défauts dont on est responsable, ceci simplement parce que cela permet, à bon compte, une supériorité arrogante du seul fait que soi-même est épargné – la facilité abrutie a toujours été le propre de l’ostracisme), elle s’en fit une délectation : celle d’un " Witz " qu’elle crut bon et qui n’eut pour toute crudité que l’insupportable. La Poisson est un personnage mesquin – et c’est peu dire. Pratiquée à cette hauteur, la mesquinerie devient un phénomène métaphysique.

jeudi 3 février 2011

AR I Le souvenir du Pire avenir


Francisca Pouète, femme, ne s’en tenait pas moins sans ambages aux jambages pour gamberger activement, et trotter de seconde en seconde et en esprit, à menus pas, à cette fin de faire un spirituel, un virtuel retour visuel, en images, sur les Lieux de son Crime… car, à tout prix, il fallait éviter… Résister à cet irrépressible appel, en forme de succion par l’oreille qui tire sur le son pour qu’il devienne, jusque dans son murmure, audible, résister à l’aspiration machinique du désir à physiquement se rendre, à physiquement s’y rendre. Ce serait suspect, suicidaire. Elle traça m puis n face à ses yeux, quelque part dans l’insituable, sur la surface translucide de l’un des multiples fins feuillets superposés du Rêvasser et sans jamais y perdre son latin, elle retrouvait, little by little, par la divagation, chaque chaton dont toute mère-chatte, dans pareil apparent foutoir mental, n’aurait pu ni su retrouver ne serait-ce que le début du museau. La bague, à tout prendre, en avait bien valu la chandelle, et Francisca Pouète ne regrettait rien. Ainsi gantée d’un anneau à perle sanglé à l’index droit, elle pouvait désormais désigner sans faillir, comme on dénonce, chaque sujet de son appétit.
[Ignorons-nous donc, vraiment, hypocritement, que l’adjectif " petit " est assurément l’un des mots chéris, l’un des mots les plus usités de la langue française ? Si même un despote, un mâle, a quelque vertu, ne serait-ce pas parce qu’il fait ( – est supposé faire) les choses en grand ? Quant à cet inesti-mé/mable sujet de la France et du français, la femelle, " Madame ", en majesté, elle est consubstantielle à sa nomination, à sa " nominalisation " sous l’espèce du mignon, la mignonne, la mignonnette : soit, au " petit ". Tournez donc d’un coude par la droite ou par la gauche et inévitablement l’impasse de la voie royale s’ouvre sur le mesquin. " Mesquine " ce mot est assurément le Maître-mot du Problème. Ses synonymes perlaborés (en quelque sorte " élaborés " selon le critère châtié de la pure perle) sont, par exemple, " terre-à-terre " ou " fatale " et etc… (Une femme commettant l’atroce avec envergure passe à la trappe, elle passe sous silence : elle est " dénaturée ", on n’en parle pas, cela n’en vaut pas la peine ; l’effroi, la répugnace, le déni sont tapis dans l’ombre de notre main que nous ne voulons pas refermer pour ne pas en diminuer la surface du voile pudique).]

mercredi 2 février 2011

Alpha Rouge ou "Chronique du Gain Parfait"

Max Ernst ou le jardin à la française (en quelque sorte).
"Alpha Rouge" est un recueil inachevé que je désespère de terminer. Il fut écrit à l'automne dernier et persiste à me hanter toujours encore aujourd'hui en me remuant les méninges - sans que je sache en quoi elles en seraient rincées et si une issue de l'espèce d'un essorage sera possible.

En hommage à Dada et aux sur-réalistes.