lundi 9 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - II


Si la mort n’existait pas…


La guerre n’éclot-elle pas toujours à point ?
Quand la panse des nerfs chauffés au vif par l’accumulation, est lasse de crever et recrever sous le boutoir du quotidien morne et lourd, elle se lâche et se lance jetée à la bataille, noyant au feu son ventre flasque. Son lieu mou, cette face d’aller de l’avant quand on s’ennuie. Quand on encaisse. Son lieu des lâchetés et autres habitudes. Verser au sang. Aller, en chantant, vomir au dehors ce qu’ordinairement on vomit au dedans. La guerre est affaire d’indigestions. Quand trop est sur l’estomac ; quand on se vide pourvu qu’on se pende. La guerre est ainsi toujours cuite à temps, on la sert pour un festin dont l’unique préparatif est la lente fermentation de la soupe, un liquide inoffensif et aussi pur que le pain mais dont non la pénurie et plutôt l’excès, à la longue, explose la marmite en propulsant partout des fragments d’assez. Les bulles du solfatare seront les dômes. Le ventre, pris dans le retournement par la rage, s’est armé d’armure, il sera le dogme. La guerre n’a jamais pour bonne raison que la mauvaise raison de l’autre. Elle s’en fabrique, des autres. Toujours nous y accule de n’en plus pouvoir, de ne plus pourvoir et pour aller y voir – jusqu’où il faudra tuer à l’autre : pour que redescende le flux au niveau de l’amer – car tout, et tout, après, sonne penaud, timide ; lorsque la tête repointe le nez hors du manche ; puis on se retrousse les manches ; puis… et puis quoi ? Puits. Pffuiiit. Bof. Ça recommence ? Pas même, ça continue. Mais l’économie " de reconstruction " aura fait un bond. Et puis quoi. La guerre secoue. Elle (nous) remue. Elle aura été là. Ici, même. C’est toujours un malheur, que voulez-vous… L’essentiel, c’est d’avoir la santé. Ah va ! Elle ne l’emportera pas au Paradis. Combien pour ce pets dans la vitrine ? Je veux un collier et une laisse roses. Je l’appellerai " Satin " parce que sa fourrure a des reflets… des reflets… des reflets… mais enfin ! tu vois bien ce que je veux dire ! Oui oui, des reflets… de porc-épic. Cela même, un porc épique. L’éthique selon le porche ; l’éthique qui mène à l’autel sous la voûte où le curé balance l’encensoir du soir espoir, aura rompu le pain et encaissé le sang sous la langue puis dans les tripes. Ite missa est. " Croire ", là est le nerf qui ne fait jamais question si ce n’est pour départager entre nous, quoi croire. Ça se prépare de loin, ça foire, ça casse et ça passe. Ça finit toujours par péter. Et quand on persiste à ne croire en rien, serait-ce qu’il faut défendre les innocents, on est bien embêté. On y va quand même, parce que ça se fait. Ou bien on s’oppose, mais ça, c’est un autre genre dans le genre du même genre, version l’étale, on s’étale, on s’arque et boute, on n’a pas gagné, on n’a pas perdu. Moi, je choisirais pas si on me posait la question. Vraiment ? Est-ce possible ? Tu laisserais aller ? Oui, la valse tourne d’elle-même. Mourir ici ou là… Non, mais mourir plus tard ou plus tôt, il faut que tu y penses.


(Jamais auparavant encore ne m’étais sentie aussi proche du cœur des choses, jamais auparavant encore n’avais navigué en des eaux de profondeur aussi immobiles, et par dessus l’épaisseur dense que fend ma proue, je voyage mobile, glisse et dérive calme, lente et sûre. Je suis aux confins, en des territoires qui précèdent où cela s’achève. Je suis à peu près morte, j’en suis consciente et voyage, encore. Je suis si calme tant la lourdeur me maintient à l’aplomb de tout, et surplombant ainsi à peu près la Raison de Tout : je sais, mais sans connaître ma connaissance. Je suis calme, je vois le fond des choses, je meurs lentement, sans panique et avec morgue et délectation de voir ainsi s’ouvrir à moi tous les secrets. Ce n’est plus qu’une question de temps – et le temps est dans ma poche. Je l’en sortirai, dégainant le peigne qui aligne les faisceaux et met de l’ordre dans la crinière d’Andromède car je vais jusque là, parsemant le là-haut de cristaux de sels comme au premier jour le fit le Créateur. Je suis dispensatrice d’un sable d’éclats clairs, rayonnants, notre mort, à ce jour. Radieuse face du soleil, irradiée face de la lune et pensive facette de la terre où se découpe un quartier d’orange. J’ai fait le jus et le pari de boire de cette faux, l’eau qui dégouline lorsque la faux retranche la parole de chaque gorge qui s’épanche. Trempant mon doigt à sa lame, je ramène essorés sur la pulpe de l’index les derniers relents du suc. Libations d’eaux fraîches, puis, Grand Calculateur de temps me verse à la paume l’hostie que je porte aux lèvres : la pierre, le caillou, tout ce qui descend vite, chutant, au fin fond infini des puits. Je suivrai sa course, et tombe. J’égratigne chacun de mes genoux aux portes où je frappe, tout s’ouvre, en une réaction en abymes, je pénètre là où la densité n’a jamais laissé aucune place à l’Être. Cela s’appelle " peut-être… ", mais tout en ne se connaissant pas pour ce que c’est. Le peut-être est de l’ordre des choses dites. Il ne m’entame pas. Je résiste. Premier et jour dernier de la bataille. Chlore d’une éclosion : je ne suis guère que làsse.)



Les Liaisons Dangereuses :


Lettre 152, de Mme de Merteuil :


" Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon extrême timidité ! Comment voulez-vous que je supporte l’idée accablante d’encourir votre indignation, et surtout que je ne succombe pas à la crainte de votre vengeance ? d’autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. […] "


Lettre 153, du Vicomte de Valmont :


" Je réponds sur-le-champ à votre Lettre, et je tâcherai d’être clair ; ce qui n’est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.
[…] Il n’était donc pas ridicule de vous dire , et il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même, je serai ou votre Amant ou votre ennemi.
Je sens à merveille que ce choix vous gêne [.] […]
[…] vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. "


La Marquise répond, écrit au bas de la même page qu’elle retourne :


" Hé bien ! la guerre. "


Choderlos de Laclos

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