jeudi 12 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - V


Eternelle Ritournelle


Parce que chaque existence est bâtie sur très peu de choses, lorsque la fatigue, nous alourdissant, nous emporte vers le profond et nous y dépose dans son défaut de sol, nous trouvons l’Immobile en nous, qui a pour toute réalité véritable un lourd et doux ralentissement, mais celui-ci qui satisfait notre penchant soudain au tenu et au ténu de la stabilité parfaite appelée Arrêt (l’Immobile, impossible et ici suggéré). Nous subissons alors un phénomène contradictoire de poussée inverse qui, nous allégeant et allégeant notre corps, le hisse et nous hisse vers une surface absolue – qui n’est la surface de rien si ce n’est qu’elle est en haut. Ainsi nous sommes étarqués, étirés entre deux poids exactement opposés et dans cet état de profondeur relevée, nous sommes soulagés sans pouvoir saisir de cet état autre chose qu’une fugacité lente qui nous maintient dans la perplexité d’assister à ce qui se passe – à ce qui nous passe, nous trans-passe à l’intérieur toujours du même état, du même espace : un temps qui dure et nous étonne parce que nous reconnaissons à chaque instant ce qui nous advient sans le connaître pour l’avoir connu. Nous assistons à chaque geste que nous pratiquons tout en sachant que nous allons reconnaître ce qui va suivre et, de fait, nous reconnaissons chaque instant avec sa charge de vie – de gestes (car, dans cette dimension microscopique de l’existence, tout acte est minuscule et ne peut guère dépasser le geste) alors que nous ne savions pas ce que nous allions reconnaître et savions que nous reconnaîtrions, sans surprise mais avec la surprise de l’absence de surprise : " oui, c’est bien ça, cela même ". Je le savais, je le sais, je le reconnais. Cela devait être ainsi.
Dans toute la Roue qui tourne de l’Eternel Mouvant, se saisissent parfois des suspens, dans des moments singuliers qui donnent, qui donnent l’échantillon en quoi repose la nature de ces suspens. Du mouvement figé dans sa progression-même – et pour cette raison même de cette qualité paradoxale (advenue pourquoi ? comment ?), du mouvement alenti vers sa limite " neutrale " nous nous détachons, nous nous décollons, mais il persiste comme mouvement et nous assistons à nous-mêmes dans la nature même qui fait chaque existence : le très peu. Le très peu de choses à quoi nous sommes ramenés lorsque s’exige d’elle-même la substance, l’essence ; dans l’urgence feinte mais aussi surtout toujours, pour chaque coup de cette stabilisation momentanée du Dé coureur, s’exige l’essence-substance qui veut, veut se voir en tant qu’elle con-siste. Car, je suis prête à parier que cette expérience estrange passe par une canalisation de tous les sens dans le défilé du sens de la vue (comme si sa suprématie en temps normal pour la plupart d’entre tous les membres de l’humanité, se densifiait ici et maintenant). Littéralement, nos yeux tombent ronds hors de leurs orbites sans tomber, mais en regardant en étant détachés d’un corps dont on dit qu’ils sont habituellement la porte. La porte s’ouvre alors, elle qui toujours a perçu et perçoit par porosité ou par capillarité. Les portes de nos sens, dans leur exercice quotidien, absorbent le monde à l’image d’un buvard, elles sont parties prenantes, et parties prises (dans la masse).
Mais je parle ici d’une expérience où les sens, sous l’auspice d’un sens qui les condense tous, où ce sens-roi prend ici une autonomie qui nous relègue dans une condition de spectateur de soi. Nous sommes libres de sentir que nous devin(er)ons rétrospectivement ce qui doit advenir, et ceci par la grâce d’un moment-mouvement qui constitue tout l’objet dont il est la condition. Le miroir se regarde. Est-il vide ? Si oui, que voit-il ? qu’y voit-il ? Son propre devenir, à vide. (Ou percevoir ce qui n’offre pas de prise à la perception, une sorte de battement sans battant).
L’oxymore ou le paradoxe ne sont que le petit moyen, l’euphémisme non adéquat de signifier : être à la fois ici et maintenant, quand cela est synonyme d’un " être ici et là-bas au même instant ".
Là où ça s’achève : ici.
La porte s’ouvre.

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