mercredi 11 mai 2011

Notre Dame du Bon Jeu - IV


Le bourdon


Je suis la veuve d’un homme que je n’ai pas épousé.
A mes insinuations de la présence d’oreilles et d’yeux subreptices dans les murs, il avait catégoriquement engagé sa parole et opposé sa promesse qu’il n’en était absolument rien, nous étions, bien, seuls en ce séjour. Je lui rétorquai, sur le ton le plus narquois que je pus trouver dans mon répertoire de vocalises (répertoire très riche et très travaillé) : " Vous ne vous imaginez quand même pas qu’à l’heure où l’on envoie Hubble dans l’espace, on ne puisse pas nous espionner sans que vous le sachiez ! ? " Je le vis interloqué. Mais, comme je pense vite, interloquée que je fus moi-même à le voir ainsi, je ne le restai pas : " Ainsi donc, l’affaire est carrément démesurée… " me dis-je. Ainsi les murs, la peinture du plafond, les lattes du plancher, les crins du tapis, les fauteuils, la transparence des vitres, tout, jusqu’au pont des lunettes entre les deux verres, et qu’il ne porte pas, où peut se loger le trou, le centre d’un œil et d’une oreille, artificiels, scrutateurs qui loin de projeter de façon centrifuge une onde, absorbent, boivent, comme le Dracula de mes cauchemars, de jour et de nuit, toutes mes vies, tous mes gestes, faits et dits, tout moi, toute la robe qui me ceint d’apparaître et de paraître – d’être. Je suis volée en continu. Le petit bouton d’un bijou technologique sophistiqué situé à peu près partout m’aspire toutes les substantifiques moelles de ma vie. Je le savais déjà. Je mesurai à ce moment-là seulement dans quel guêpier je m’étais enfournée. " Je peux vous assurer qu’il n’y a, dans cette pièce, strictement aucune caméra ". Ne joue donc pas sur les mots, veux-tu ! Ne jure pas, n’oublie pas qu’il te sera compté et décompté tout parjure, ta vie risque l’amputation de quelques heures et années. Car quelque chose il y a. Que cela porte pour nom " fibres optiques " ou bien quelque autre nom que j’ignore pour une réalité technologique que j’ignore tout autant, faute (faute volontaire) de me tenir au courant.


Je suis jalouse. Jalouse jusqu’à griffer. Jusqu’à égratigner et je me rappelle la conséquence qu’avait eue cette conversation téléphonique qui, visiblement, n’avait rien de professionnel, cette conséquence sur ton répondeur quelques heures après, quand je fus rentrée chez moi, je me rappelle que tu te rappelles quel coup à l’estomac cela te valut et que je viens de relater plus haut. Je reconstruis. Je reconstruis mon message vengeur, non les mots mais la teneur. Quelque chose comme une mise à pied sous la forme de quelque rétorsion ou autre – et de quel ordre ? Là je n’en ai pas le moindre souvenir et n’embraierai pas. Quand enfin nous nous revîmes, tu pataugeas. Tes grands et maladroits souliers bafouillèrent dans la mare quoique tu eusses attaqué par une virile estocade. Tu fus, pourtant, déséquilibré. Mon cher, entre nous soit dit, je me ferai de ta prétendue gaucherie, le plaisir de dénouer en cadence, tous les secrets. Mais, revenons-y d’abord : quelque temps après cette escarmouche (entre autres) tu reçus encore un appel téléphonique privé qui te valut de façon ostentatoire, un grand sourire, plus adressé à moi qu’à la promesse qu’il t’octroyait, d’un supposé plaisir – mondain ? On ne me la fait pas. Et je restai tout à fait dégagée, sereine et attentive. Non mais qu’est-ce que tu t’imagines ? Que je suis une pile à réaction nucléaire ? Certes, j’en suis une. Avec cette variante, qu’au nombre de mes fonctions compte celle du retardement – de l’explosion après délai. Je te réserverai la primeur de botter en touche à ton nombril. Je percerai ton ego de toute la longueur de ma pointe. Et crois-moi, je ne le regretterai pas. Le film, le filmage – sur lequel je ne compte pas, ni toi d’ailleurs – en eût valu le détour mais justement, quand nous en serons arrivés là, la pelote technologique aura fini de dérouler le cours de son énergie, épuisée elle languira gisant de son dernier bout de langue devant la porte close des amants. La fibre optique version opaque. Cela te pend au nez. A ton grand nez qui a toujours su détecter les senteurs frelatées mais aussi le miel d’acacia quand il est d’acacia.
Aussi demeure-t-il regrettable que tu te sois supprimé. Nous aurions pu. Je veux relater toute la fantaisie qui ne me reste plus qu’au titre de la fantaisie. Dont acte.


Le Surmâle


" L’amour est un acte sans importance, puisqu’on peut le faire indéfiniment. "
Tous tournèrent les yeux vers celui qui venait d’émettre une telle absurdité.
[…]


Alfred Jarry

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire