vendredi 19 mars 2010

Loto-Fiction XI


If only. You drove me crazy, my dear. That’s for sure. L’expérience de la folie, je l’ai faite au propre, parce que je suis morte un jour, un jour qui fut une nuit – là, encore, au propre et non au figuré car pour être une expérience de la nuit de l’âme, elle n’en fut pas moins une expérience heureuse. La Nuit de la Mort heureuse. You had driven me mad, dear, the dearest thing in my life.

Et je ne le relaterai pas ici, je le fis ailleurs, dans le courrier que je t’adressai par voie respiratoire. Il n’y eut que toi pour en connaître les tenants et les aboutissants ; que cela suffise, que se le tienne pour dit mon auditoire (et non l’hypothétique " lectorat " qu’il est par ailleurs, cet auditoire, mais/car " tout ceci s’écoute, avant toute chose "), auditoire que j’ai pourtant appelé à te juger, d’entrée de jeu. Qu’en fut-il d’une folie, supposée mienne (mi-haine) ? Elle fut parce qu’elle persiste. Entendons-nous bien, je ne suis pas folle, je suis une inaliénée, athée de nature, de radicale nature, raisonneuse et raisonnante, rationnelle, et fêlée seulement pour avoir sonné le tocsin des cloches jusqu’à la déraison dans un mouvement autorisé par le désespoir, mais pas plus, mais pas moins.

Mais il m’appartient de dire pourquoi elle est et fut heureuse. La réponse tient dans la corrélation du passé et du présent, pour un futur où, dans leur persistance de passé et de présent pour tels, ce futur ne fera pas défaut. Au cours du temps qui me reste à vivre, passé et présent se propageront, de cette folie, le long du temps qui visite à chaque instant l’avenir, avec cette même qualité de Joie, de bonheur de l’instant dans cette folie. J’ai vécu là-bas un moment dont la Probité est telle qu’elle me valut la Joie ; cette probité persiste et résiste, et elle se nomme telle parce qu’elle définit en nature toutes les qualités de cette Nuit-là. Une probité parce qu’elle est tout entière, à jamais, dans le souvenir qui m’en reste et qui ne trahit rien, qui ne la trahit pas – la Nuit de ma Mort, la Nuit de la Mort heureuse.

Ce pourquoi j’en viens à la mentionner ici, n’est donc pas sa relation (du verbe " relater ") c’est à dire la rédaction poussive d’un moment terminé, passé. Ce à quoi mon expérience vaut d’être ici présente est sa présence de fait. Non pas, non plus, qu’elle me coure sous la peau et m’abreuve, à l’image du sang, de la Raison de mon existence désormais. Mais sa clarté qui n’a jamais renoncé, l’anamnèse immédiate, brève où me plonge le moindre incident propre à la faire resurgir, cette anamnèse qui ne fait fi d’aucune distorsion du temps, d’aucune anamorphose d’un paysage contrarié, est l’exact moment de l’avoir vécue. Il est faux, il serait faux de dire que je re-vis, à la moindre occasion cette Nuit-là. Mais, de même qu’elle ne me reste pas en présence sensible, en sensation perpétuelle dans le corps comme le ferait une bouillotte, à laquelle la difficulté du vivre serait redevable d’une diffusion de morphine en continu à mes nerfs, de même qu’inconsciemment elle ne me procure pas le courage de continuer à aller de l’avant (ce qu’au demeurant je ne fais plus ; toi et moi, nous en sommes là, à ce Point de Mort, d’une Mort " décisive " pour ainsi dire), de même que je ne saute pas sur chaque occasion fortuite de la voir se dresser-redresser face à moi dans toute la force d’une évocation fiévreusement désirée ; pourtant. Pourtant, chacun des Passages provoqués par les situations diverses du gré des jours qui passent, est bienvenu, à ce titre que le souvenir ne fait jamais dé-faut à ce que fut ce moment. Je donnai le mot de Probité comme nature commune à tous les détails qui en ont fait la richesse. La Probité est devenue, par cette expérience, le phénomène et le lieu d’un (re-)modelage, d’une (re-)fondation, d’une " (re-)substantialisation " de tous les caractères (les qualités) de ce Moment-là, de cette Mort-là, comme l’odeur est devenue la qualité du flacon, une fois vide. Das Ding an sich. (Encore faut-il soulever le bouchon du flacon). La dénaturation de ce que furent les détails de cette Nuit-là n’est véritablement une dénaturation que si l’on consent à admettre qu’il puisse " exister " une gamme de souvenirs qui ne s’entache, qui ne s’entâche d’aucun poids matériel, que la petite madeleine n’est pas la madeleine, ni le thé le thé, ni les pavés inégaux d’une cour les degrés de remonter, dans une bascule de l’équilibre, vers un passé ou un hors-temps sauvegardé. La mort est la mort, elle fut, pour avoir été heureuse. Je parle pour moi.

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