dimanche 21 mars 2010

Loto-Fiction XIII


Blaise, à dieu ne plaise, me disait P., j’irai dans ce jardin d’épines jouer ma fiction au loto – loto dont j’ai mangé et que point ne me rappelle, en conséquence. Cette nuit-là, nous nous tuâmes l’un l’autre. Et je ne me satisfais pas de ta lettre d’adieux. Elle est crasseuse. Elle est voleuse. Tu m’as dérobé l’avenir comme on coule sous le plomb ou dans le ciment la lettre même de la parole, celle qui compose l’alphabet sous sa multiple version. " Mon amour… " tu attaquais ! Balivernes. Où vois-tu que jamais nous nous aimâmes ? Nous nous sommes l’un l’autre bavés de regards moites mais manchots. Quand me touchas-tu si ce n’est par une main à poignée et à poigne ; je voulais t’écraser les phalanges, en faire sortir du lait comme le petit tailleur en fit sortir du gruyère. Un, un seul d’un coup ! Coup magistral !
Et plus loin tu dis encore : " … dans cet immense chaos, nous fûmes deux pour un… ". Pour " un " ? Et pour " une ", y pensas-tu ? Y pensas-tu jamais que tu ne fus pas " pour une ". Quel que soit le point jusqu’où nous n’avons pas poussé la fusion, nous serions restés deux : de l’impossibilité de faire disparaître – par ta faute tienne – la voyelle muette, et blanche, à juste titre. Elle fut, cette dérobée par l’absence, la Présence de notre incompatibilité réciproque. Tu ne m’as jamais touchée, eût-ce été quand j’étais écrasée de sommeil, sous l’effet de l’absorption de barbituriques, jamais tu n’étendis la main, jamais n’entras au contact de la chair par la chair. Je ne connais que le claquement de tes dents qui me mordent – pour m'éloigner. Et la poignée de mains du soir, qui est au sentiment amoureux ce que la réversion de la peau d’un ballon est à une orange dénudée : un reniement. Nous aurons vécu à l’envers, allant vers, sans repos. Et voilà cette lettre dont je déchiffre péniblement les voyelles, noyées par un afflux de consonnes. Nous avions ce code, ne jamais lire que par les couleurs. Ta lettre me vole, elle est par trop pâle, elle est par trop sombre. J’y lis ce signe d’une croix dont tu veux biffer ta vie. " Le destin ne nous a pas… ". Et coetera, et coetera. Crois-tu qu’il appartienne au destin de jouer le rôle d’un échantillon de colle ? Nous sommes éternellement tombés en deux, gisant au sol dans le mouvement de la chute que notre position réciproque au sol induit. Nous avons ravalé le mouvement. Pour être morts, il nous aurait suffi de nous relever de notre tombée. Tu échouas. Te voilà, donc, mort. Et ta Lettre est un parjure, elle ne me satisfait pas. Elle ne me satisfait point.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire