samedi 13 mars 2010

Loto-Fiction V


Ta page, heureusement ; noircie en diable, affreuse, hideuse, décorée de putréfaction – la tienne, la mienne, la haine. La rutilante haine, et sans retour, sans détour et sans regret. Et cela prendra du temps, de telle sorte que si nous avions dû vraiment nous retrouver, ce l’eût été aux calendes grecques. Il n’y aura, jamais plus, de temps pour nous : ce qui constitue un nous ; un toit et un mois, un mois dans l’année où enfin, une date où enfin. En fin, finalement ? Niet, nada, nevermore, niemals. La balle était dans ton camp et tu l’as enterrée comme on le fait de la hache après avoir abattu l’arbre, la forêt décimée tu revendiques la naïveté. Mais comment ? Jamais, jamais je n’aurais cru que… Mais oui, piètre couillon, " ça " comptait pour moi, ça contait. Et tu as versé au conte la stupide fable de l’abnégation, de la dévotion, du pur amour. Mais je me nourris d’autres aliments que de la purée, du ragout, des ortolans et des frites, d’autres aliments que les pois et le gigot. Y as-tu pensé ? Un seul jour pensé ? Que l’on ne fabrique de véritable histoire que par un dialogue. Nous discutions, chacun à l’autre bout du sofa, la distance de tout le tissu rouge du velours nous séparait. A peine si nous nous contentions d’un strapontin, nous nous serions bien séparés d’une pièce, d’une chambre. Pas même nous ne faisions chambre à part, pas même nous ne faisions oreiller commun, tout, tout comme un vrai couple, tout comme un vrai vieux couple centenaire dont la plomberie usagée a cessé de fonctionner. Et maintenant, cet inutile robinet qui a éternellement sa goutte de vieux au nez. La miction pour toi mais pas la mixtion pour nous. Tu as agi en égotiste. Tu es un vrai dandy, une dandinette, une trottinette, une poussette, une carriole, une charrette, un chariot. Tu ne traînes que ton poids, lourd de kilogrammes de plumes bariolées de sang. Avec tes plumes trempées de ton sang tu as cru écrire une page, celle de ton suicide, et cela même tu l’as raté. Malheur à toi. Je te tirerai dans la boue par le chignon de tes boucles jusqu’à ce que tu ressembles au triste bonhomme de suint. Tu es le dernier mouton du troupeau de Panurge : tu as attendu que tous aient sauté pour en faire autant. Il te fallait au moins une preuve de ton unicité, de ta valeur extra-ordinaire. Parce que tu as toujours pensé que la valeur se découpait dans un irréversible et irrémédiable désespoir, lu en face. Tu t’arroges à peu de frais, facilement, le caractère de la grandeur.

Tu t’imagines que la copulation, aussi, puisse se doubler d’une apparence ? Or elle est la chose la seule qui n’apparaisse pas. Tous les écrans de la pornographie constituent le ratage où l’humanité s’arrête face au mur d’elle-même, le nez cassé. Tu crois vraiment que tu m’as fait le don de l’apparence d’un couple ? La saccharine ne nourrit pas. Tu n’as trompé que le monde. Pas moi. Tu devrais le savoir. Mais je crois bien que tu l’ignores. Ta manie, ta folie, ta maladie, c’est l’imagination. Tu en es dépourvu au point de croire que tu la possèdes. Celle-ci. Nous. Elle et moi. Tu es l’illusionniste de ton cabaret intime. Quand tu respires tu crois que tu vis. Ce n’est pas faux. Nous avons baillé ensemble : notre baiser sous une radicale contraception.

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